La Presse en Virginie-Occidentale

Le royaume déchu du charbon

Madison, Virginie-Occidentale — Vonna Legg vient d’une famille de mineurs. Son grand-père, son père, son mari, son frère et son beau-fils ont travaillé dans des mines de charbon.

Son grand-père est mort dans la mine lorsqu’un mur s’est effondré sur lui. Le père de Vonna avait 3 ans. Adulte, il a pris le chemin de la mine.

Ainsi allait la vie à Madison, au cœur de la Virginie-Occidentale : mineur de père en fils et de frère en frère. À l’époque, une bonne douzaine de mines de charbon roulaient à plein régime. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une poignée.

Vonna Legg avait 20 ans lorsqu’elle a épousé un mineur qui avait 30 ans de plus qu’elle. Il avait déjà deux enfants. L’un d’eux est mort dans la mine à la suite d’une explosion de gaz.

Le mari de Vonna a été mineur toute sa vie. Il est mort l’an dernier d’un cancer du poumon à l’âge vénérable de 80 ans.

Il avait les « poumons noirs » (black lungs), la maladie classique du mineur qui respire de la poussière toute sa vie.

J’ai rencontré Vonna à la bibliothèque de Madison où elle travaille. Énorme, elle débordait de sa chaise qui soupirait à chaque mouvement. Elle a raconté ses malheurs avec calme et résignation, une résignation forgée par l’impuissance. Même si sa famille a payé un prix énorme pour travailler dans le charbon, Vonna continue d’appuyer l’industrie qui a nourri sa famille pendant plusieurs générations.

« Je ne suis pas fâchée contre l’industrie du charbon, a-t-elle dit. Je respecte ce qu’elle a fait pour ma famille et la région. Je suis née et j’ai grandi à Madison. C’est personnel, vous comprenez ? »

***

Madison, petite ville de 3000 habitants, vivote sur fond de déprime économique. Depuis qu’Obama a déclaré la guerre aux énergies polluantes, l’industrie du charbon s’est effondrée. Et ce n’est pas fini. Le gouvernement a adopté de nouvelles cibles pour diminuer les émissions de carbone des centrales de charbon. Une baisse de 20 % est exigée d’ici 2030, ce qui signifie davantage de fermetures et de mises à pied.

Dans le comté de Boone, où est situé Madison, le taux de pauvreté atteint 20 %. Dans la rue principale de la ville, un magasin sur deux est vide. Les façades sont tristes, défraîchies. Le magasin général a fermé ses portes, le dernier café aussi. Il ne reste que des chaînes, les seules capables de survivre, les McDonald’s, Subway, Pizza Hut et autres établissements de fast-food. Elles laissent dans leur sillage un désert culinaire.

L’économie de la Virginie-Occidentale repose en grande partie sur le charbon.

Les démocrates ne sont pas en odeur de sainteté, avec leur politique d’énergie propre. Donald Trump a promis d’aider l’industrie. Il n’en fallait pas plus pour que les électeurs se jettent dans ses bras.

« Trump a une avance énorme dans les sondages, affirme Kyle Lovern, éditeur du journal local, Coal Valley News. Les commerces ferment, les écoles subissent des compressions. »

Les mines versaient des taxes qui gonflaient les coffres de la ville et du comté de Boone. Avec les fermetures, les budgets ont rapetissé. Cet été, 400 maisons étaient à vendre et trois écoles ont fermé.

Vonna Legg vit les contrecoups de cet effondrement. Elle avait le temps de me raconter sa vie, car la bibliothèque était vide. Il n’y avait que sa collègue, Glenda Hugues.

« On n’a plus de directeur parce que son salaire était trop élevé, a expliqué Glenda. On n’a pas beaucoup d’espoir. Par contre, on a plein de désespoir. »

Les budgets d’acquisition ont été passés à la tronçonneuse, le personnel coupé. Vonna et Glenda tiennent le fort dans une bibliothèque de plus en plus désertée. À l’image de la ville.

***

Glenda et Vonna ne sont pas les seules à s’accrocher au charbon. Maxine Cole-Tinnel organise depuis des années un concours de beauté qui couronne les reines du charbon. Le but : promouvoir l’industrie.

Il existe plusieurs catégories dans son concours : les bébés, les enfants, les adolescents, les adultes jeunes et vieux, les femmes… et les hommes. Le concours se déroule une fois par an, en juin, à Madison. Maxine Cole-Tinnel y croit, même si l’industrie du charbon agonise.

En 2014, Tasha a été couronnée reine à vie. Menue, 24 ans, mariée à un militaire et mère d’une petite fille de 1 an. Son père, son grand-père et son oncle ont été mineurs. Son père a été gravement blessé à deux reprises et son grand-père vit dans la hantise de perdre sa pension.

Le père de Tasha, Guy Mitchell, a 45 ans. Il a travaillé sous terre pendant 20 ans dans la même mine que son père et son frère.

En 2003, une roche a dégringolé sur lui. Il a été défiguré. Son visage a été reconstruit grâce à la chirurgie plastique. À l’automne 2015, il a de nouveau été blessé. Il en porte toujours les séquelles, il a mal à la jambe, au dos et au cou. Seuls des médicaments puissants lui permettent de marcher et de prendre sa petite-fille dans ses bras. Il ne peut plus travailler. De toute façon, la mine a fermé peu de temps après son accident.

À la mine, les conditions étaient très dures. « Je travaillais huit kilomètres sous terre, m’a raconté Guy Mitchell. Ça me prenait une ou deux heures pour m’y rendre. Les premiers mois, on avait peur, mais après, on s’habituait. La chaleur, le stress, les poids à soulever… c’était difficile. »

La famille de Tasha aussi a payé un lourd tribut à l’industrie du charbon, mais comme Vonna, Tasha ne ressent ni amertume ni colère.

« Ce n’est pas de la faute de l’industrie si les mines ont fermé, a affirmé Guy Mitchell. Les nouvelles réglementations étaient tellement sévères, sans oublier toutes les amendes qu’elles devaient payer. Elles ne pouvaient pas baisser le prix du charbon. »

« J’aime cette industrie, a ajouté Tasha. Elle m’a tout donné, le linge pour m’habiller, un toit au-dessus de ma tête et de la nourriture sur la table. »

Tasha a décidé de se présenter au concours de beauté parce qu’elle voulait faire la promotion du charbon. Son couronnement, croit-elle, lui permettra de raconter l’histoire de sa famille. Elle veut rendre hommage aux mineurs et défendre une industrie qui, pourtant, tue sa ville à petit feu.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.