CHRONIQUE

La chorale

Je suis le fier papa de deux garçons de 9 et 11 ans. Ils grandissent vite, posent des questions de plus en plus complexes, appréhendent les échecs, savourent les réussites. Deux beaux garçons allumés, aux yeux pétillants, aux sourires irrésistibles. Non, mon regard n’est pas objectif. Je suis columnist

C’est mon vieil ami Alex, père de deux filles, qui m’a proposé de réfléchir aux valeurs que je transmets à mes fils, à la façon dont j’envisage avec eux la « masculinité », à comment je leur enseigne à « être des hommes ». Franchement, je n’y avais jamais pensé. On a beau faire grand cas des problèmes des garçons québécois, notamment à l’école, nous vivons dans une société patriarcale où être une fille ou une femme, même aujourd’hui, pose davantage de défis qu’être un homme.

« Quand on veut, on peut ! », nous a toujours répété ma mère, avec une confiance inébranlable en ses enfants. Je viens d’une famille de sportifs. Mes garçons, à qui j’ai transmis la piqûre du sport, aiment bien que je leur raconte les exploits de leur tatie Geneviève, classée jadis parmi les trois premières raquettes du tennis québécois dans sa catégorie d’âge et joueuse de soccer redoutable.

Tu vois une différence, toi, entre des « activités de filles » et des « activités de gars », ai-je demandé à dessein à mon fils aîné. Il m’a semblé embêté par la question. « Ben… Je dirais qu’il y a des livres de gars et des livres de filles, comme Le journal d’Alice. Mais je ne veux pas que tu écrives ça parce que c’est peut-être des préjugés ! » (Désolé, fiston.)

Quelles valeurs ai-je transmises à mes fils ? J’ose espérer celles du respect, de l’effort, de l’égalité et bien sûr, de l’amour du football (celui qui se joue avec le pied et un ballon). 

Le printemps dernier, en pleine Coupe du monde féminine de soccer à Montréal, mes gars jouaient comme d’habitude au soccer avec leurs amis dans la cour d’école. Plutôt que de se prendre pour Messi ou Cristiano Ronaldo – les plus grandes stars du soccer masculin –, ils s’étaient rebaptisés Marta ou Christine Sinclair, les vedettes du Mondial féminin.

Ce n’était pas une mode passagère. À l’Halloween, le plus grand veut troquer son déguisement de Cristiano Ronaldo (édition 2014) pour celui de Christine Sinclair, la grande attaquante de l’équipe canadienne que nous avons vue jouer au Stade olympique. (Le plus jeune veut garder son costume craquant de bébé panda, devenu trop petit.)

J’ai peur d’avoir l’air de me vanter d’être un père idéal. C’est loin d’être le cas, croyez-moi. La patience n’est pas ma plus grande vertu et la mienne atteint rapidement ses limites. Rien ne m’apparaît plus pénible que de faire le suivi des devoirs après une journée de travail, sauf peut-être de devoir rappeler à mes garçons pour une 10e fois de se brosser les dents, de se coucher ou de se dépêcher le matin à se préparer pour l’école.

Je n’en suis pas fier – c’est même le contraire –, mais j’étais réfractaire à ce que mes fils s’inscrivent à la chorale des jeunes du quartier, il y a quelques années. 

Surtout parce que les répétitions allaient hypothéquer nos vendredis soir, mais aussi, je l’avoue, honteux, parce que mon vieux fond de gars-de-sport-macho-sur-les-bords avait peur que mes garçons ne se fassent taquiner à l’école par leurs camarades de classe. Il y a surtout des filles inscrites à la chorale…

J’avais évidemment tout faux. Mes garçons adorent chanter. Ils s’émancipent dans ce groupe dynamique, dirigé par des gens de cœur (ce n’est pas un mauvais jeu de mots). L’aîné a participé l’hiver dernier aux chœurs de l’opéra Carmen au Monument-National. Il doit chanter cet automne dans la Troisième Symphonie de Mahler à la Maison symphonique. De formidables projets, enthousiasmants.

Il ne s’est pas fait taquiner à l’école. Pas une seule fois. Ses amis sont ouverts d’esprit. Beaucoup plus que ne l’étaient les miens – et moi-même – au même âge. Ils ne sont pas bornés, ils n’entretiennent pas de préjugés ridicules sur les arts, le chant, la danse, les « activités de filles » et les « activités de gars ». Lorsque je lui ai expliqué que le féminisme se résumait à prôner l’égalité entre les hommes et les femmes, mon plus vieux s’est déclaré sur-le-champ féministe.

En voyant mes garçons sur scène pendant le spectacle de fin de saison de leur chorale, le printemps dernier, j’ai eu la gorge nouée et les larmes aux yeux. Je les ai trouvés beaux, bons, inspirants, émouvants, magnifiques. Ils avaient les yeux pétillants, le sourire irrésistible. Non, mon regard n’est pas objectif. Je suis papa.

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