Souvenirs d’été

Un revers cruel, une médaille magnifique

La date
9 août 2012
L’évènement
La médaille de bronze en soccer des Canadiennes aux Jeux olympiques de Londres

Tous les samedis, notre chroniqueur revient sur des événements et des personnalités qui ont marqué sa carrière en journalisme sportif.

Le contexte

Impossible de ne pas ressentir un frisson quand Paul McCartney conclut l’extraordinaire cérémonie d’ouverture sur le succès des Beatles Hey Jude. Il allait y en avoir plusieurs autres au cours de cette fabuleuse quinzaine olympique. Mais de tous les exploits dont j’ai été témoin, c’est la médaille de bronze des Canadiennes en soccer qui occupe le sommet de mon palmarès.

C’est à Coventry, une ville située au nord de Londres, que je découvre cette formidable équipe. Ce jour-là, les Canadiennes affrontent les Britanniques, favorites pour l’emporter. Ce n’est pas étonnant. Un an plus tôt, le Canada a connu une Coupe du monde catastrophique, terminant au dernier rang.

Dans l’espoir de redresser la barque à temps pour les Jeux de Londres, Soccer Canada nomme un nouvel entraîneur : John Herdman, un Britannique de 37 ans. Peu à peu, ce communicateur hors pair rebâtit la confiance de l’équipe, qui aligne une athlète d’exception : l’attaquante Christine Sinclair. Si le Canada veut surprendre à Londres, la capitaine devra donner le ton.

À Coventry, près de 30 000 personnes s’entassent dans les gradins pour encourager Team GB, comme on l’appelle ici. Les gagnantes accéderont à la demi-finale contre les Américaines. Contre toute attente, le Canada prend les devants 2-0 dès la 26e minute de jeu. Et tient bon jusqu’au bout devant un public sidéré. Après la rencontre, Sinclair déclare : « On est très soudées à l’extérieur du terrain. Et ça commence à paraître sur le terrain. »

Trois jours plus tard, le Canada et les États-Unis croisent le fer à Old Trafford, le mythique stade de Manchester United. Ce match se transforme en morceau d’anthologie, à la fois beau et cruel.

Sur papier, le Canada ne possède pas les ressources pour vaincre les puissantes Américaines. Mais Sinclair prend les choses en main. Surveillée de très près, elle confond néanmoins la défense adverse avec des actions fulgurantes. Avec une dizaine de minutes à écouler au match, ses trois buts valent aux Canadiennes une avance de 3-2.

C’est alors qu’un évènement ahurissant se produit. La gardienne canadienne Erin McLeod est pénalisée pour avoir conservé le ballon trop longtemps dans ses mains après un arrêt. Une faute semblable est rarement signalée, surtout quand la durée de possession n’est pas excessive et que l’enjeu est si crucial. Team USA obtient un coup franc et, malchance, le ballon touche le bras d’une joueuse canadienne. L’arbitre norvégienne accorde un penalty et les Américaines créent l’égalité. Puis, à la toute fin des 30 minutes de prolongation, elles marquent le but vainqueur.

Après le match, ce n’est pas la peine qui habite les joueuses unifoliées, mais la colère, ce sentiment terrible de s’être fait flouer par une arbitre incompétente. Des éclairs dans les yeux, Sinclair met en doute son impartialité et lance : « Je n’ai pas l’impression qu’on a perdu, je crois plutôt que l’arbitre nous a enlevé la victoire. »

Équipe Canada mettra-t-elle de côté sa frustration avant le match de la médaille de bronze contre la France ?

Les deux équipes se retrouvent à Coventry. Dès le début de la rencontre, il est clair que Sinclair et son groupe ont laissé beaucoup d’énergie sur la pelouse d’Old Trafford. Et en deuxième demie, les Françaises prennent le contrôle de la rencontre. Elles attaquent par vagues et le Canada a des ennuis à repousser le ballon hors de sa moitié de terrain. On sent que la digue cédera et que les Françaises rempliront bientôt le filet. Mais elles tardent à concrétiser leurs chances : une frappe sur le poteau, une autre sur la transversale, un tir étonnamment mal cadré… Résultat, au moment où le temps additionnel commence, c’est toujours 0-0.

C’est alors que l’inattendu se produit. Pour la première fois du match, le Canada obtient une chance de marquer. Un ballon atterrit aux pieds de Diane Matheson, qui l’expédie dans une cage quasi déserte ! Le Canada l’emporte 1-0.

Une vague de joie submerge les Canadiennes. « Je suis sous le choc, lance Sinclair. La France a obtenu une dizaine d’occasions en or. Et c’est nous qui marquons dans les dernières secondes. Le soccer est un jeu bizarre, parfois… »

La belle aventure de Marie-Ève Nault

Au sein de cette équipe médaillée, on retrouve Marie-Ève Nault, originaire de Trois-Rivières. À Londres, son parcours devient un conte de fées.

Avant les Jeux, Nault apprend qu’elle ne fait pas partie des 18 joueuses retenues par Herdman en vue du tournoi olympique. Elle est néanmoins invitée à accompagner l’équipe comme réserviste. Elle s’entraîne fort même si ses chances d’endosser l’uniforme dans un match sont presque nulles.

Mais dès le début du tournoi, des blessures frappent la formation canadienne. Et en arrivant au stade avant le dernier match du tour préliminaire contre la Suède, Nault doit se pincer pour y croire : sur le tableau dans le vestiaire, son nom apparaît… dans le onze partant ! « J’ai eu de la misère à y croire », dira-t-elle quelques jours plus tard.

Nault a été formidable durant le reste du tournoi. Et c’est avec une fierté légitime qu’elle a reçu sa médaille de bronze. « Dans notre groupe, tout le monde croyait en tout le monde », dira-t-elle après la victoire contre la France.

La suite des choses

Les performances de Sinclair durant le tournoi olympique lui valent d’être choisie porte-drapeau de la délégation canadienne à la cérémonie de clôture des Jeux.

Puis, en octobre, elle est suspendue quatre matchs en raison de ses commentaires après la rencontre entre le Canada et les États-Unis. En décembre, elle obtient le trophée Lou-Marsh remis à l’athlète par excellence de l’année au Canada.

Herdman, lui, a été nommé entraîneur-chef de l’équipe canadienne masculine en janvier dernier. Il tentera de redonner du lustre à un programme toujours en quête de succès.

Avec le recul…

Cette médaille de bronze s’inscrit dans les annales canadiennes. Imaginez : en sport collectif traditionnel, aucune équipe du pays n’était montée sur un podium des Jeux d’été depuis ceux de Berlin en 1936 ! Ce fut une magnifique réussite.

Une image forte que je garde en tête

La salle d’entrevue du stade de Coventry, après la conquête du bronze par les Canadiennes. Bruno Bini, l’entraîneur français, répond aux questions des journalistes. Un collègue français lui demande si son équipe a progressé depuis la Coupe du monde de l’année précédente.

Bini lève les yeux vers lui et lance : « Réalisez-vous ce que vous posez comme question ? On vient de prendre un coup de bambou sur la tête. Le match est terminé depuis 10 minutes à peine et vous me demandez de faire une analyse transactionnelle avec un peu de sémantique. Non, je ne peux pas. Honnêtement, je ne peux pas. Même avec la meilleure volonté du monde. »

Jamais entendu de meilleure réplique depuis…

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.