Éditorial Élections provinciales

On a les promesses qu’on mérite

C’est à coup de mesures concrètes et hyper- ciblées relevant de la famille et de la vie privée que se sont affrontés les chefs de partis lors de la première semaine de campagne.

L’un a promis des lunchs aux élèves et une application de covoiturage (PQ). L’autre veut offrir une allocation familiale et des lunettes gratuites aux mineurs (CAQ). Le troisième s’engage à fournir un chèque aux parents et une deuxième carte d’assurance-maladie aux enfants (PLQ). Et le dernier veut éliminer le coût du bus et celui du dentiste pour les mineurs (QS).

Nous sommes malheureusement bien loin des projets de société, des programmes nationaux et des grandes réformes de l’État, convenons-en.

Mais posons-nous franchement la question : les partis pouvaient-ils faire autrement que de proposer des mesures terre-à-terre qui répondent à des besoins précis ?

N’est-ce pas précisément ce que nous réclamons… tout en reprochant aux élus de ne jamais nous écouter ?

Les enquêtes d’opinion montrent bien le désabusement des Québécois, dont à peine 18 % accordent leur confiance aux politiciens. Elles confirment leur méfiance grandissante à l’endroit des institutions, de l’État et de tout ce qui relève du collectif. Et elles révèlent parallèlement une tendance forte vers l’individualisme et le repli sur la cellule familiale et la sphère privée.

Pas étonnant que bon nombre des engagements électoraux reflètent ce cynisme galopant et cette affirmation individuelle, comme un miroir que nous tendent les formations politiques.

Oui, bien sûr, nous voulons des « projets de société »… mais nous ne croyons pas les politiciens lorsqu’ils en proposent.

Nous voulons être « inspirés » par la classe politique… mais nous accusons les candidats d’opportunisme dès qu’ils se présentent pour un parti.

Nous voulons que les chefs nous parlent vrai… mais nous leur faisons des procès d’intention dès qu’ils ouvrent la bouche.

Pour qu’un parti soit entendu en 2018, il doit donc offrir du prêt-à-penser politique, vite compris, vite digéré, comme un « Tinder » du covoiturage. Pour qu’un chef soit cru malgré le cynisme ambiant, il doit proposer des mesures dont ne peuvent douter les plus sceptiques, comme une autre carte d’assurance-maladie.

Les électeurs, aujourd’hui, demandent aux partis ce qu’ils peuvent faire pour eux plutôt que l’inverse. La participation politique recule. L’identification partisane disparaît. Et donc, à l’aide d’outils technologiques de plus en plus sophistiqués, les formations politiques ciblent des portions toujours plus étroites d’électeurs, puis vont les chercher quasiment chez eux avec des propositions qui répondent à des besoins particuliers.

Les partis ont-ils le choix ? Oui… et non. Les sondages montrent que les électeurs voient de moins en moins le lien entre le gouvernement et leur propre situation, comme si leur bien-être individuel n’avait rien à voir avec les programmes et les décisions politiques. Comme si l’État ne servait à rien, en fait, sinon à leur vider les poches.

On l’a vu dans le sondage IPSOS-La Presse du mois de mai dernier, qui évoquait le ras-le-bol des Québécois en cette ère de populisme ambiant. Les répondants se montraient satisfaits de leur situation personnelle, de leur vie familiale, sociale, professionnelle. Mais ils n’en attribuaient aucun mérite à l’État, au point où 76 % d’entre eux réclamaient carrément une diminution du rôle du gouvernement dans leur vie au profit de libertés individuelles plus grandes. Vous avez bien lu : 76 %.

Comment répondre à cette demande qui met à mal le fameux modèle québécois ? Malheureusement pas en proposant de grands projets collectifs qui peuvent tirer le Québec par le haut. Plutôt en multipliant les promesses d’une « infinie concrétude », pour reprendre les mots de l’auteur Mathieu Bélisle, qui ciblent le portefeuille, la famille, l’école, les fournitures scolaires, la qualité de vie, les congés, les temps de déplacement, les tarifs du bus… comme si l’État n’était plus qu’un vulgaire dispensaire de services.

Nous pouvons bien sûr déplorer que les partis se plient ainsi aux diktats de l’individualisme, en gardant le nez collé sur leurs sondages et leurs focus groups. Mais si nous ramenons de plus en plus les enjeux politiques à nous-mêmes, bien difficile de reprocher aux partis d’en faire autant.

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