Chronique

La chambre vide

Ça y est ! Nous y sommes ! Nous voici dans la période de l’année où l’on quitte le doux temps des vacances pour transiter vers la grande platitude de la rentrée. On va se le dire, cette période est un moment difficile à passer. En fait, avec la saison des impôts, la rentrée est le pire moment de l’année. Et même quand on veut en faire abstraction, des indices gros comme le chantier de l’échangeur Turcot sont là pour nous faire plonger dans cette dure réalité.

Les magasins nous braquent la fameuse « fourniture scolaire » en pleine face et nous rappellent que le sac à dos Dora est offert à seulement 12,97 $. Les stations de radio et de télé promettent de nous faire vivre des émotions comme nous n’en avons jamais ressenti dans notre vie avant. Les responsables des travaux publics annoncent qu’ils vont quintupler le nombre de cônes orange à Montréal car, bien sûr, nous n’en avions pas assez.

La rentrée, c’était l’un des sujets de conversation qui nous a occupés, des amis et moi, lors d’un souper jeudi soir. Ces amis ont tous franchi le cap de la cinquantaine. Leurs enfants sont grands. Je me suis dit, moi l’égoïste qui n’a pas contribué au projet d’agrandissement de la chaîne humaine, qu’ils en avaient sans doute terminé avec le stress de la foutue rentrée. Pensez donc ! Pas du tout. La rentrée scolaire de leur enfant, même âgé de 18 ou 20 ans, les assaille avec son lot d’angoisse et de stress.

Quand l’enfant est petit et qu’il fait son entrée à l’école, on se demande s’il sera heureux dans un tel contexte d’apprentissage, s’il sera un cancre ou un génie, s’il sera accepté par ses camarades. On se demande surtout s’il va réussir à s’imposer et à faire son chemin dans la vie. Quand l’enfant entre au cégep ou à l’université, on se pose les mêmes maudites questions.

Ces questions viennent hanter les parents lorsqu’ils sont dans leur pause-café, lorsqu’ils n’arrivent pas à s’endormir le soir, lorsqu’ils signent le chèque des droits de scolarité.

Quand arrive la rentrée, on pense beaucoup aux enfants. Les psychologues et pédagogues viennent à leur rescousse avec un arsenal de conseils (allez voir sur le web les centaines d’articles sur la manière d’aider les enfants à gérer leur stress). On explique aux parents comment réagir, comment ne pas montrer son propre stress, comment demeurer le modèle solide qu’on a toujours été. Mais qu’est-ce qu’on dit aux parents sur leur angoisse à eux ? Pas grand-chose. Qu’est-ce qu’on dit aussi aux parents qui vivent la tristesse de voir leur enfant quitter le nid ?

Car il y a cela aussi : la fameuse étape où l’enfant quitte la maison pour aller étudier ailleurs. Cette étape est sans doute la plus difficile pour un parent. Plusieurs la vivent très mal d’ailleurs. Un sondage du magazine Psychologies nous apprend que 35 % des parents connaissent le « syndrome du nid vide » lors du départ de leur enfant.

Alors, ces parents font du mieux qu’ils peuvent. Ils tentent de trouver l’énergie pour consoler leur peine, ils se mettent à acheter en double afin de s’assurer que l’oisillon déserteur ne manque de rien, ils apprennent à manier Skype pour communiquer avec lui, ils cuisinent et préparent des petits plats congelés pour le même oisillon, ils s’encouragent en se disant que le temps des Fêtes ramènera celui ou celle qui est allé étudier à Montréal, Ottawa ou Sherbrooke.

Ces parents, qui ont toujours été des parents, observent leur enfant prendre son envol. Ces parents, qui ont toujours été des parents, redeviennent doucement un couple. Ils redeviennent aussi un peu eux-mêmes. Ces parents acceptent l’idée qu’il faudra revoir leur manière d’être parents.

Pour plusieurs parents en ce moment, la rentrée ressemble à une Toyota Yaris pleine comme un œuf qui quitte la maison familiale avec à son bord un jeune adulte anxieux, mais excité, de faire face à la vie. Elle ressemble à une chambre vide devant laquelle on passe et qui nous balance brutalement ses millions de souvenirs. Elle ressemble à un pot de sauce à spaghettis qu’on glisse furtivement dans un sac pour s’assurer que le petit ne meure pas de faim. Pour plusieurs parents, la rentrée ressemble à une peine d’amour.

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