Immobilier

Un condo qui s’envole comme un petit pain chaud

Un condo, une vingtaine de visiteurs et quatre offres d’achat. Incursion dans les coulisses de la vente rapide d’une propriété, de la mise en marché à la présentation des promesses d’achat. L’offre la plus haute l’emportera-t-elle ?

La courtière immobilière se doutait bien que la propriété qu’elle venait d’afficher ne resterait pas longtemps sur le marché. Il s’agit pourtant d’un condo comme un autre, deux chambres, 700 pieds carrés. Mais, dans un marché aussi dynamique que celui que connaît Montréal actuellement, même les condos, dont on avait prédit la surabondance il y a quelques années, partent comme des petits pains chauds. Mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, puisqu’en immobilier, on ne peut être sûr de rien.

« Je m’attends à des offres multiples, mais on ne sait jamais comment ça va tourner, avertit Anick Truong, courtière immobilière chez Sotheby’s International Realty, mandatée pour la vente de cette propriété. C’est toujours une surprise. Ça dépend de qui cherche quoi à ce moment-là. »

La fixation du prix

La propriété en question est un condo situé dans un immeuble en copropriété du quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal, mis en vente au début du mois de mai. Le prix affiché a été fixé à 285 000 $, soit 5000 $ de moins qu’un comparable qui s’est vendu en mars dernier dans le même immeuble en copropriété, mais qui était affiché à 299 000 $ et pour lequel les premiers acheteurs se sont désistés.

« Il vaut 300 000 $, mais l'inscrire à 299 000 $, j’aurais peur que ça fasse le même effet que l’autre, que ça pousse les gens à aller au-dessus de 300 000 $ et qu’après, ce soit une zone d’inconfort pour eux. » Anick Truong craint les remords de l’acheteur qui peuvent se manifester lorsqu’il y a surenchère. Ainsi, il arrive que celui qui remporte la mise regrette le prix qu’il a offert et tente de se retirer de la transaction au moment de l’inspection ou de la lecture des documents de copropriété.

« Pour nous, c’est le pire cauchemar d’avoir une offre qui ne marche pas. Tu as perdu tout ton momentum, tu as l’air d’avoir un produit endommagé. »

— Anick Truong, courtière

La courtière a aussi opté pour un prix attractif parce que sa cliente veut partir seulement à la fin de septembre. « Quand tu as un prix très attractif et des gens qui sont en concurrence, ils veulent se plier à tes demandes pour que leur offre se distingue des autres. »

La visite libre

Bien que des visites individuelles aient eu lieu sur demande, c’est à une visite libre que la plupart des personnes intéressées sont conviées. Par un samedi après-midi ensoleillé de mai, une quinzaine d’acheteurs potentiels se sont déplacés pour voir la propriété. Si plusieurs semblent agréablement surpris de la maximisation de l’espace et de la disposition des pièces, aucun ne fait preuve d’un enthousiasme laissant présager une quelconque surenchère.

« Pendant les visites, les gens pensent qu’ils doivent avoir une poker face, relativise Anick Truong. Mais dans le cas où tu te retrouves en offres multiples, ça peut jouer en ta faveur de montrer dès le départ que tu le veux vraiment. »

Le dépôt des offres

Pas question toutefois de faire une offre sur-le-champ. Les promesses d’achat ne seront acceptées qu’à partir du lundi suivant la visite libre. Selon Anick Truong, cette façon de faire, qui est devenue très fréquente de nos jours, est une manière de donner une chance égale aux acheteurs intéressés tout en permettant au vendeur d’obtenir le meilleur prix.

Le jour J

Le scénario anticipé se produit. Dès le lendemain de la visite libre, un courtier signifie son intention de déposer une promesse d’achat au nom de ses clients. Une deuxième offre est confirmée par la suite. Puis une troisième, à une heure du rendez-vous fixé pour la présentation des promesses d’achat à la propriétaire, qui aura lieu par FaceTime, puisque celle-ci est à l’extérieur du pays. 

Dès qu’une nouvelle offre est déposée, la courtière est tenue d’en informer les autres acheteurs potentiels. Elle ne peut toutefois en divulguer le contenu. Les autres personnes dans la course peuvent alors choisir de bonifier la leur. C’est ce qui s’est produit. Les premiers à avoir déposé une offre l’ont bonifiée d’une dizaine de milliers de dollars en apprenant qu’ils n’étaient plus seuls dans la course*.

Un autre couple d’acheteurs a quant à lui décidé de bonifier la sienne, originellement sous le prix demandé, à deux reprises. Puis arrive la troisième offre, plus élevée que les deux autres de plusieurs milliers de dollars. De quoi écraser la concurrence, pensez-vous ? Pas si vite. Si le prix est souvent un facteur déterminant, ce n’est pas le seul.

L’heure du choix

En appel vidéo avec sa cliente, Anick Truong lui présente les trois offres qui sont sur la table. Elle reçoit un appel. Un autre courtier lui signifie son intention de lui faire parvenir la promesse d’achat de ses clients. Le temps est compté. L’une des offres expire dans une heure. Il lui résume le contenu avant de le mettre par écrit. Sensiblement les mêmes éléments que les autres. Le montant est identique aux deux premières. Ceux-ci ont une préapprobation hypothécaire, contrairement à deux des trois autres acheteurs intéressés. Anick Truong remarque que dans un marché aussi compétitif, tout acheteur devrait avoir ce document en main.

L’un d’eux, l’auteur de l’offre la plus élevée, a toutefois évoqué la possibilité de payer comptant, un avantage puisque la propriété ne serait alors pas soumise à une évaluation de la banque, nécessaire à l’obtention d’un prêt. L’argent proviendrait de sa famille, mais rien n’est certain.

Bien qu’elle soit agréablement surprise par l’offre la plus haute, la propriétaire est méfiante. L’acheteur pourrait-il être pris de remords et trouver une façon de se retirer de la transaction ? En revanche, elle est séduite par la deuxième offre qui propose de passer chez le notaire deux mois plus tôt. Elle pourrait demeurer dans l’appartement jusqu’à la date d’occupation souhaitée, moyennant un loyer à payer aux nouveaux propriétaires. Elle estime le prix demandé très raisonnable. « Ça montre qu’ils font des pieds et des mains pour t’accommoder », lui fait remarquer Anick Truong. Mais l’écart de prix qui sépare les deux offres est considérable, note la propriétaire.

Devant l’hésitation de sa cliente, la courtière contacte son collègue qui représente ces acheteurs, puisqu’un doute plane toujours. « Vous avez fait deux bonifications en une heure, je veux juste m’assurer que vous n’en ferez pas une troisième avant qu’on prenne notre décision », s’enquiert-elle. Quelques minutes plus tard, ils confirment la troisième bonification.

L’affaire est conclue. La propriété se vendra 300 000 $. Bien que cette offre soit en deçà de quelques milliers de dollars de l’offre la plus élevée, la propriétaire estime que la différence n’est pas suffisamment grande pour lui faire choisir cette dernière. La perspective d’un passage hâtif chez le notaire l’a conquise. Au plus fort la poche, en immobilier ? Pas toujours.

* En raison de la confidentialité qui entoure les promesses d’achat, nous ne pouvons divulguer les montants offerts ainsi que les détails des autres conditions.

Les obligations du courtier

Au Québec, le travail des courtiers immobiliers est encadré par la Loi sur le courtage immobilier et ses règlements, laquelle précise les règles à suivre lorsque plusieurs promesses d’achat sont déposées pour une propriété. « Le courtier vendeur est tenu à une obligation de transparence, d’information et de vérification, résume Caroline Champagne, vice-présidente, encadrement, à l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ). Il a l’obligation de divulguer le fait qu’il y a plus d’un promettant acheteur pour donner à tous la possibilité de bonifier leur offre. Il doit agir de manière équitable, de façon à ne pas favoriser un promettant acheteur aux dépens d’un autre. » Elle précise qu’une contre-proposition peut être faite à l’un des acheteurs et que celle-ci doit lui être envoyée par écrit.

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