À ma manière

Pourquoi je me lance dans la livraison de prêt-à-manger

Qui : Jérôme Ferrer, chef très connu du restaurant Europea, Relais & Châteaux et membre des Grandes Tables du Monde. Propriétaire d’Au Beaver Hall. Copropriétaire des casse-croûtes Jerry. Partenaire du Cellier du roi, à Bromont.

Chaque semaine, une personnalité du milieu des affaires nous raconte dans ses mots une page de son histoire.

J’ai vu cet engouement pour les boîtes à la maison : Goodfood, MissFresh, Cook It. Les gens veulent économiser du temps et de l’argent sur leurs achats. Ils veulent pouvoir budgétiser non seulement leurs dépenses de logement, mais aussi alimentaires.

Comme j’avais déjà le Centre de transformation agroalimentaire Tradition et qualité, où je prépare des plats en sous-traitance, alors je cherchais un créneau différent de la grande distribution, où le marché est féroce. C’est difficile de travailler avec ces gens-là !

J’ai choisi de créer des plats pour le grand public, de les préparer et de les mettre dans des sacs sous vide, comme on le fait en cuisine. Les clients les reçoivent à la maison et en l’espace de 10 minutes, les plats sont réchauffés et prêts à servir. Ça permet de passer plus de temps à table.

Je suis fébrile et j’ai très peur. On a misé énormément sur cette nouvelle entreprise. C’est sûr que si ça ne marche pas, ça va faire très mal au niveau du portefeuille ! Et si je ne vis pas un grand succès, j’espère que ce sera rentable.

CE QUE JE METS DANS LA BOÎTE

Chaque semaine, les clients peuvent commander « La boîte du chef » avec cinq repas de la semaine, en plus de cinq entrées, de cinq accompagnements et de quelques surprises. Pour la prochaine année, je vais faire 52 semaines de repas différents.

Je fais une cuisine familiale, accessible dans la dégustation, facile d’interprétation avec un accent sur la cuisine du monde. Je veux que les gens prennent du plaisir même si ce sont des plats simples. Je veux aussi faire des clins d’œil comme si on était à l’Europea. Une semaine, il va y avoir des pots de rillettes de saumon à l’érable !

Mon rêve, c’est d’ouvrir le marché des produits locaux. Faire briller ces petits producteurs et artisans. 

COMMENT J’AI FIXÉ LE PRIX

J’ai calculé stratégiquement selon le portefeuille moyen d’un consommateur. À 100 $, ça revient à 10 $ par personne par jour pour un repas en trois services. Donc, pour les tarifs, on est concurrentiel. J’ajoute 15 $ pour la livraison si les clients ne peuvent pas venir les chercher. Ma marge de profit est de 5 %.

Pour réussir à offrir ce prix, j’économise sur l’emballage. Ce qui me permet de maximiser la valeur marchande et la qualité de ma protéine végétale ou animale. 

Le sous-vide, ça me permet de ne pas mettre d’agent de conservation ou de stabilisateur, contrairement aux industriels. Toute cette merde-là et ces cochonneries-là ne font pas partie de mon lexique de vocabulaire. C’est hors de question !

Pour la livraison partout au Québec… Ouf… c’est tout un bloc. Je travaille avec la philosophie d’Europea, l’expérience client avant tout. Pour la grande couronne de Montréal, ce sont mes employés, cuisiniers, serveurs, habillés en tenue « La boîte du chef », qui vont offrir un service de livraison personnalisé. J’avoue qu’en dehors de cette zone, je fais appel à des sociétés de transport. Ça me fait de la peine. Mais j’ai déjà des livraisons de prévues en Gaspésie.

CE QUI ME DIFFÉRIENCIE DES AUTRES

Il y a deux points qui nous diffèrent de Goodfood, MissFresh, Cook It. Quand j’en ai parlé autour de moi, les gens me disaient : « C’est très bien pour les fins de semaine quand on a le temps de cuisiner en famille 30-45 minutes. » Mais quand tu rentres à la maison avec les enfants ou que tu es fatigué de ton travail, des fois, c’est moins le fun de devoir faire la popote pendant une demi-heure ou trois quarts d’heure.

J’ai donc opté pour des plats déjà préparés. Comme si la belle-maman ou la maman avaient préparé des plats le dimanche pour la semaine. 

Deuxième point. Ce qui me dérangeait dans leur système d’affaires, c’est le fait d’être comme une vente forcée. On doit s’abonner. Ça me gênait. Je me suis dit : « Non. » Je veux que ce soit un achat volontaire.

Si je fais ce projet-là, c’est pour séduire une nouvelle clientèle et l’inciter à venir dans un restaurant comme Europea. On n’est que deux grandes tables du monde à travers le Canada : Toqué ! et Europea. C’est très dur. C’est un travail acharné de tous les jours de faire venir des clients. Je tiens bon depuis 15 ans sans tomber dans la banalisation de la gastronomie, où toutes les cartes de restaurants se ressemblent.

En attendant, nos commandes de « La Boîte du chef » sont au-delà de nos espérances. On a vendu ce qu’on espérait vendre en une semaine. La première livraison commence le 4 septembre.

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