L’économie dans le temps

20 AOÛT 1964

LE PRÉSIDENT JOHNSON LANCE SA GUERRE À LA PAUVRETÉ

Chaque semaine de l’été, La Presse+ revient sur un événement qui a marqué la petite ou la grande histoire économique durant la belle saison.

Le 20 août 1964, le président américain Lyndon B. Johnson signait l’Economic Opportunity Act, la loi qui déclarait sa guerre à la pauvreté. La pauvreté a gagné, dira Reagan. Mais est-ce vrai ?

Lyndon B. Johsnon

Victoire !

ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DE 1964

61,1 %

Lyndon B. Johnson (dém.)

38,5 %

Barry Goldwater (rép.)

Alors que la campagne présidentielle bat son plein, le projet est chaudement débattu à la Chambre des représentants. On déplore les trop vastes pouvoirs donnés au directeur de la future agence, et surtout, la centralisation des décisions à Washington. 

Adoptée le 8 août 1964, la loi est signée par le président le 20 août suivant. Elle crée l’Office of Economic Opportunity (OEO), bureau chargé d’organiser et de coordonner les efforts. Au dernier jour de sa session, le 8 octobre 1964, le Congrès lui attribue pour l’année suivante un budget de 800 millions. 

Nous sommes en pleine guerre froide : il n’est pas question ici de redistribution de la richesse. Il s’agit plutôt de donner aux démunis les moyens de s’extraire de la misère, de rompre le cercle vicieux de la pauvreté.

Le 3 novembre, Johnson remporte l’élection présidentielle devant Barry Goldwater avec la plus grande part des votes de l’histoire. Il peut lancer son offensive.

Lyndon B. Johsnon

Un arrière-goût d’échec

Entre 1964 et 1968, le financement du CAP totalisera 2,64 milliards US. En 1968, 1600 agences d’action communautaire ont été créées, couvrant 2300 des 3300 comtés du pays.

Pourtant, au tournant des années 70, une impression d’échec a commencé à se propager. Johnson s’est retiré de l’élection présidentielle de 1968 au début des primaires, brisé par les émeutes raciales et la contestation de la guerre du Viêtnam.

Durant les cinq années suivantes, les dépenses militaires astronomiques vont siphonner une part considérable du budget américain, réduisant les fonds disponibles pour l’Office of Economic Opportunity. Nixon distribue les responsabilités de l’OEO dans divers services gouvernementaux. Gerald Ford supprime l’organisme en 1975.

En 1981, l’Economic Opportunity Act lui-même est abrogé par le Congrès. Ronald Reagan vient d’être élu. « Nous avons mené une guerre à la pauvreté, et la pauvreté a gagné », décrétera-t-il.

Lyndon B. Johsnon

Celui qui ne devait pas être là

VIVENT SOUS LE SEUIL DE LA PAUVRETÉ 

• Une famille sur cinq

• 35 millions d’Américains

• Près de la moitié de la population non blanche

• 80 % des fermiers non blancs

Source : Council of Economic Advisers, 1964

Lyndon B. Johnson ne devait pas être président.

À peine âgé de 46 ans en novembre 1963, John F. Kennedy était bien en selle pour un second mandat. Mais son assassinat hisse le vice-président Johnson au pouvoir.

C’est une autre époque. Habituée à gagner ses batailles, l’Amérique a confiance en elle. Elle s’est résolument engagée dans la course à la Lune et vient de mettre l’URSS en échec à Cuba. C’est sans conteste la nation la plus riche et la plus dynamique de la planète. Mais cette richesse est inaccessible à une importante partie de sa population.

Le rapport du Council of Economic Advisers pour le président en fait le constat : près d’un Américain sur cinq est pauvre.

Kennedy prévoyait s’attaquer à la racine du mal. Johnson, qui veut laisser sa marque dans l’histoire, va en faire son cheval de bataille : « C’est mon genre de programme », dit-il.

Lyndon B. Johsnon

Ambitieux et controversé

La loi a instauré 11 grands programmes, qui favorisent l’éducation et la formation des jeunes en milieu défavorisé, la création de microentreprises, l’aide aux familles rurales. Ils multiplient par trois les investissements du gouvernement fédéral dans la santé, l’éducation et les programmes sociaux.

La moitié du budget est dévolue au Community Action Program (CAP), qui procure de l’aide technique et financière aux organismes locaux pour la mise sur pied d’initiatives taillées sur mesure pour leur communauté. Le CAP doit fournir aux personnes défavorisées le pouvoir de transformer eux-mêmes leur milieu, de réformer les institutions locales et de déraciner la discrimination raciale. 

C’est le programme le plus ambitieux, le plus innovateur… et le plus controversé. Car le financement de ces projets, fourni directement par l’OEO, n’est pas canalisé par les autorités régionales. On cherche ainsi à court-circuiter les réseaux traditionnels de pouvoir et d’influence, susceptibles de favoriser davantage leurs intérêts que ceux des démunis.

Lyndon B. Johsnon

Une guerre perdue ?

25,8 %

Taux de pauvreté en 1967 selon la Supplemental Poverty Measure (SPM)

15,3 %

Taux de pauvreté en 2014 selon la Supplemental Poverty Measure (SPM)

Comme celle du Viêtnam, la guerre à la pauvreté de Johnson a-t-elle été perdue ? Si elle n’est pas encore gagnée, elle n’a pas été menée en vain pour autant. Plusieurs de ses initiatives sont toujours en place.

La méthode traditionnelle de mesure du taux de pauvreté, mise au point à la fin des années 50, a pu laisser croire que les programmes de lutte contre la pauvreté avaient eu peu d’effets. Après avoir régressé de 19,1 % en 1964 au plancher historique de 11 % en 1973, le taux de pauvreté stagne depuis entre 13 % et 15 %.

Mais une nouvelle méthode dévoilée en 2010 par le U.S. Census Bureau, qui tient compte des programmes sociaux, trace un autre portrait. Appliqué rétrospectivement, la Supplemental Poverty Measure (SPM) mesure un taux de pauvreté de 25,8 % en 1967 et de 15,3 % en 2014, avec une lente diminution au fil des ans.

Au contraire de Roosevelt, auréolé des effets pourtant équivoques de son New Deal, Johnson, mort en 1973, ne sera pas coiffé des lauriers que son initiative aurait dû lui valoir.

Lyndon B. Johsnon

Déclaration de guerre

À peine sept semaines après l’assassinat de Kennedy, dans son premier discours sur l’état de l’Union, Johnson déclare « une guerre inconditionnelle à la pauvreté ». « Notre objectif est une victoire complète », dit-il. Il ne s’agit pas seulement de « soulager les symptômes de la pauvreté, mais aussi de les guérir, et surtout de les prévenir ».

Il confie aussitôt la conception d’un programme à Sargent Shriver, le beau-frère de John Kennedy, qui vient de mettre sur pied le Corps de la paix (Peace Corps). En quelques semaines, son équipe élabore un projet de loi, qui est présenté au Congrès le 16 mars 1964, en pleines primaires présidentielles. Le républicain ultraconservateur Barry Goldwater, qui a annoncé en janvier sa candidature, fait furieusement campagne contre le projet. 

Johnson se lance résolument dans la promotion du programme. En avril, il visite la famille de Tom Fletcher, un mineur de charbon au chômage. Le couple et ses huit enfants ont été soigneusement choisis pour personnaliser la pauvreté américaine.

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