Chronique

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras

L’octroi d’une équipe de la LNH à Seattle enfonce le clou : les Nordiques ne reviendront pas de sitôt à Québec. Et si les espoirs de revoir les Expos à Montréal sont réels, l’affaire est loin d’être dans le sac.

Récupérer une équipe professionnelle après l’avoir perdue est un défi gigantesque pour une collectivité. Elle doit vaincre le scepticisme des dirigeants des ligues, qui, avec raison, se posent cette question simple : pourquoi les choses iraient-elles mieux cette fois-ci ? Et des sommes colossales sont nécessaires pour réussir l’opération.

Voilà pourquoi l’essor de l’Impact est important pour le Québec. C’est très bien de rêver au retour des Nordiques et des Expos, mais il faut d’abord protéger les acquis. En cette journée où la Major League Soccer (MLS) présente sa finale, l’occasion est belle de le rappeler.

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On rêve aujourd’hui de rapatrier les Nordiques et les Expos parce qu’on mesure combien la perte des deux clubs a fait mal au Québec sportif. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Quand les Nordiques ont quitté Québec en 1995, la ville a encaissé le coup avec résignation. Pas de manifestation monstre dans les rues, pas de chemises déchirées sur la place publique. Enfin, on cesserait de parler du dossier du nouveau Colisée. Enfin, les passes d’armes entre l’organisation, l’hôtel de ville et le gouvernement ne feraient plus les manchettes des journaux.

La réaction des Montréalais au départ des Expos en 2004 n’a pas été plus passionnée. C’est dans l’indifférence que l’équipe a rendu l’âme au terme d’une lente agonie, pleine des mauvais tours de Jeffrey Loria, de dates butoirs et d’exaspération des uns et des autres. Cette ambiance lourde a éteint la magie autour des Z’Amours.

Québec inc. estimait alors avoir suffisamment donné pour soutenir les Expos. Personne ne pouvait prévoir que le modèle économique du baseball majeur, grâce à une hausse marquée des revenus de télé, donnerait de l’air aux organisations établies dans des marchés plus modestes.

Hélas, le coût d’acquisition d’une équipe sportive professionnelle a bondi de manière inattendue. Dans le cas des Expos, il aurait été ironiquement plus économique de subir des pertes de 40 millions US par année durant quinze ans que d’acheter une nouvelle équipe aujourd’hui. La facture liée au retour des Nordiques sera également salée si le projet aboutit. Québec enviera longtemps Winnipeg, qui a récupéré ses Jets en 2011 à prix d’aubaine : 170 millions US.

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Au Québec, la finale de Major League Soccer entre les Timbers de Portland et Atlanta United suscite un intérêt minimal. Mais à Atlanta, où elle sera disputée ce soir, c’est une grosse affaire. Plus de 70 000 personnes rempliront les gradins, ce qui promet une ambiance du tonnerre.

La MLS est en pleine croissance et sa popularité s’accentuera. Montréal a la chance de faire partie de ce circuit depuis 2012. La famille Saputo a payé sa concession 40 millions US, une somme raisonnable quand on sait que les nouvelles équipes déboursent aujourd’hui 150 millions US pour obtenir ce privilège.

Un peu comme Québec lorsque les Nordiques ont grossi les rangs de la LNH en 1979, Montréal a profité d’une conjoncture parfaite pour adhérer à la MLS.

Aujourd’hui, réussir un coup pareil serait quasi impossible. La concurrence des villes américaines est trop forte. La somme exigée serait aussi trop élevé compte tenu des revenus projetés.

Malgré ce petit miracle, l’Impact lutte quotidiennement pour consolider sa place dans notre paysage sportif. Et quand le président Joey Saputo explique avec franchise les défis économiques auxquels son équipe fait face, on lui attribue vite le rôle du mauvais garçon.

Il est vrai que demander des allègements de taxes foncières n’est pas la méthode idéale pour gagner un concours de popularité. Mais en résumant son cri du cœur d’octobre dernier à une simple question de chiffres, on rate l’essentiel.

Au fond, Saputo éprouve un certain désarroi en constatant que sept ans après l’arrivée de l’Impact en MLS, l’organisation se bat encore pour remplir son stade 17 fois par saison. Et qu’elle doit lutter sans relâche pour attirer des partenaires commerciaux et élargir son bassin de fans. Et s’il assure n’avoir aucune intention de vendre l’équipe – le soccer est une manière privilégiée pour les Saputo de redonner à la communauté –, on sent son agacement face à la difficulté de faire de l’Impact un club financièrement viable à long terme.

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Malgré sa progression, la MLS demeure un joyau caché. Au Québec, par exemple, combien d’amateurs de sport peuvent nommer un seul joueur de l’Atlanta United FC et des Timbers de Portland, les finalistes d’aujourd’hui ?

La MLS a encore des croûtes à manger pour atteindre le niveau de reconnaissance des autres grands sports professionnels. Mais dans 20 ans, avec l’élan du soccer en Amérique du Nord, la situation pourrait être différente. Et qui sait si l’Impact ne sera pas une équipe dont tous les gestes seront épiés par le plus grand nombre.

Voilà pourquoi il ne faut pas oublier les leçons tirées après les départs des Nordiques et des Expos.

Une collectivité peut regretter longtemps de ne pas avoir assuré l’essor de l’une de ses équipes. On ne le réalise pas toujours le jour où elle nous quitte. Mais le constat devient brutal quand on espère la retrouver.

Voilà pourquoi je souhaite que l’Impact atteigne ses objectifs. Et que ce petit doute qui point chaque fois que Joey Saputo lance un signal d’alarme s’éteigne à jamais. J’aimerais que la pérennité de l’équipe à Montréal soit assurée afin que nous n’ayons pas de regrets dans 20 ans, comme c’est le cas à propos des Nordiques et des Expos.

Dans la course aux équipes professionnelles, le vieux proverbe dit vrai : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

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