Nature

Les plaisanciers nuisent à la survie des bélugas 

Ils ont été chassés jusqu’au bord de l’extinction. Les pêcheurs les détestaient, au point d’utiliser des bombes – subventionnées par l’État – pour les effrayer. Dans les années 20, le gouvernement du Québec versait une récompense de 15 $ par carcasse. Les bélugas du Saint-Laurent ont connu des heures bien difficiles. Et aujourd’hui, ils sont sur le point de disparaître.

De nos jours, qu’est-ce qui menace le « canari des mers » ? C’est un peu les touristes et plaisanciers qui les aiment… à mourir.

« On m’a dit que dans la baie Sainte-Marguerite, des Sea-Doo sont montés littéralement sur le dos des bélugas », s’insurge Daniel Martineau, professeur à l’école vétérinaire de l’Université de Montréal.

Cette anecdote est vraie, et il y en a bien d’autres, confirme Robert Michaud, du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM). Il affirme que réglementer la navigation de plaisance et d’observation, c’est peut-être la priorité pour sauver le béluga, dont le statut d’espèce en voie de disparition a été confirmé cette semaine par le gouvernement fédéral.

« Minimiser le dérangement, c’est ce qui va être le plus payant à court terme », dit M. Michaud.

En effet, la période de la navigation de plaisance, soit juillet et août, coïncide avec celle où les femelles mettent bas et où elles nourrissent et élèvent les nouveau-nés.

Et, comme pour tous les mammifères, c’est une période cruciale pour la survie de l’espèce, où les dérangements sont nocifs.

« On a besoin de se réveiller. Le Parc marin [du Saguenay] aurait besoin d’adopter des mesures plus sévères. La réponse pourrait être plus musclée. »

— Robert Michaud, GREMM

M. Michaud affirme que les deux années où le nombre de nouveau-nés retrouvés morts a bondi, soit 2010 et 2012, coïncident avec deux étés où le temps a été particulièrement beau et chaud et où il y a eu un grand nombre de plaisanciers. « Pour l’instant, ce pourrait être seulement une coïncidence, mais c’est une piste importante », dit-il.

« UN PHÉNOMÈNE YOUTUBE »

À cela vient s’ajouter la mécanique des réseaux sociaux. « On a un phénomène YouTube et GoPro avec les bélugas », dit-il.

M. Michaud ne veut pas blâmer l’ensemble des plaisanciers. « Leur regroupement a fait campagne auprès de leurs membres et ils ont adopté un béluga », dit-il.

Il affirme aussi que les rencontres avec les bélugas ont tendance à marquer les humains en les sensibilisant à leur protection. 

« Voir un béluga de près est une expérience qui peut changer notre perspective sur le Saint-Laurent et nous le faire apparaître comme un milieu sauvage avec des animaux fascinants, au lieu d’un endroit qui nous retarde pour aller travailler le matin. »

— Robert Michaud, GREMM

Complication supplémentaire : les bélugas sont curieux de nature et s’approchent souvent des embarcations. « Il peut même être difficile de les éviter. » Des kayakistes peuvent en témoigner : parfois, la bête semble vouloir jouer en poussant leur embarcation doucement. Cependant, même ces rencontres peuvent perturber les bélugas, selon M. Michaud. Tout cela milite pour la création de refuges où la navigation serait carrément interdite, dit-il.

Une solution que Daniel Martineau appelle de tous ses vœux.

« Il faut interdire l’accès à la baie Sainte-Marguerite, lance-t-il. C’est comme si, au parc Kruger en Afrique, on permettait aux jeeps de ramasser des touristes, d’aller virer autour des lions à 30 milles à l’heure. Ce serait un scandale international. Comment se fait-il qu’on ne soit pas capables de protéger cette espèce adéquatement ? Je n’en reviens pas. »

Le Parc marin du Saguenay a indiqué hier qu’un nouveau règlement, publié en 2013, est actuellement à l’étape finale du processus d’approbation. Ce règlement interdira les motomarines, entre autres, mais ne prévoit pas de zone d’exclusion à la navigation.

DES TESTS DE GROSSESSE

Cette femelle béluga est-elle enceinte ou pas ? C’est à cette question que Véronique Lesage tente de répondre, afin de savoir pourquoi la population du béluga a commencé à chuter au début des années 2000, après des décennies de faible croissance. À partir de la semaine prochaine, la chercheuse de Pêches et Océans Canada va faire passer des « tests de grossesse » aux femelles. « Un échantillon de gras est prélevé, explique-t-elle. On l’analyse pour les taux d’hormones liées à la gestation. » Normalement, une femelle sur trois devrait être enceinte. De 50 à 70 échantillons seront prélevés et c’est la quatrième et dernière année de ce programme de recherche, dont les résultats seront connus bientôt.

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