Chronique

La fourchette court plus vite que nous

C’est le printemps et je vous connais, vous voulez vous remettre en forme. Ah, l’expression « se remettre en forme », han ? Joli code pour « perdre du poids », n’essayez pas de m’en passer une vite…

Sauf que le sport ne fait pas perdre de poids. Cessez de courir chaque soir de ce joli printemps si vous le faites un peu pour être sexy dans votre Speedo jaune, le 1er juillet, à la plage d’Oka.

Avez-vous avalé votre Gatorade de travers ?

Permettez que je répète : l’activité physique ne fait pas perdre de poids.

Ce n’est pas moi qui le dis. C’est la science qui le démontre.

Au début du mois, Yoni Freedhoff, professeur adjoint à la faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, a expliqué de façon magistrale la science de la perte de poids aux membres d’une association canadienne d’éducateurs physiques, à grand renfort d’études scientifiques et de méta-analyses (dont une qui a survolé 98 études).

Freedhoff a notamment cité une étude qui a suivi deux cohortes d’hommes pendant 20 ans pour mesurer les effets du sport sur le tour de taille.

« Et ceux qui ont rapporté faire du sport cinq heures par semaine en moyenne – ce qui est beaucoup – ont pris du poids sur ces 20 années, mais 5,7 livres de moins que ceux qui en faisaient seulement 90 minutes par semaine… »

Traduction : ces super sportifs ont pris 4,5 onces de moins par année que ceux qui, pépères, faisaient beaucoup moins de sport qu’eux. « Il n’y a simplement pas de façon réaliste, dit le chercheur, de prescrire de l’exercice en vue d’empêcher les gens de prendre du poids. Et encore moins d’en perdre. »

C’est contre-intuitif, je sais. Il n’y a qu’une façon réaliste de perdre du poids, dit Freedhoff en citant les études scientifiques menées partout en Occident : en mangeant moins, en mangeant mieux.

Faisant apparaître sur l’écran géant de sa présentation une fourchette étendue sur l’asphalte, le médecin a lancé cette boutade : « Nous ne pouvons pas courir plus vite que ces fourchettes. Oui, ces fourchettes courent très, très vite… »

Ne cessez pas de courir, ne cessez pas de pédaler, ne cessez pas de patiner. Le sport est pourtant le meilleur médicament au monde, dit Yoni Freedhoff, un médicament qui combat les maladies du cœur, le diabète, sans parler de ses effets formidables sur l’humeur, la zénitude et la concentration… Ce n’est simplement pas un médicament pour perdre du poids. Et entretenir ce mythe a un effet pervers : décourager ceux qui se lancent dans le sport en espérant porter du 32.

Pour perdre une livre, il faut brûler 3500 calories. On brûle 3500 calories dans un marathon de 42 kilomètres. Faites le calcul. C’est en contrôlant ce qui entre dans nos bouches qu’on perd du poids.

Une des expressions les plus cinglées de ce marketing qui veut nous convaincre que bouger, c’est ce qu’il faut pour fondre : les boissons énergétiques. Une bouteille de Gatorade compte 90 calories. L’eau du robinet ? Zéro calorie.

En cela, le malentendu sur le sport brûleur de graisses est finement entretenu par l’industrie agroalimentaire. Par Coke qui commandite des courses pour enfants, par le lobby du lait qui fait croire aux athlètes du dimanche que le lait au chocolat est incontournable après le gym, par Hershey qui commandite des activités d’Athlétisme Canada. La liste est interminable et vit très bien avec les paradoxes, comme l’olympien Alexandre Despaties qui nous dit de manger des Big Macs depuis 1999.

Ainsi, Indra Nooyi, PDG de Pepsico, peut dire ceci, sans rire : « Il va sans dire que le mode de vie sédentaire a causé cette épidémie d’obésité. »

Rigoureusement faux : on bougeait autant en 1980 qu’en 2005, explique Yoni Freedhoff, études à l’appui (contre-intuitif, encore une fois !). Ce qui a changé, c’est que nous mangeons plus, et nous mangeons plus de sucre, notamment. Les pushers de sucre comme Mme Nooyi ne vous diront pas cela, ils vous diront de courir plus si vous voulez brûler les calories de leurs Doritos, et idéalement de courir en buvant du Gatorade…

Si vous pensiez que faire du sport fait maigrir, rassurez-vous, vous n’êtes pas nono. Vous vivez simplement dans un monde où le discours de la science est enterré par les beuglements du marketing.

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