Chronique

Bernard Gauthier, les femmes et la construction

Dimanche, à Tout le monde en parle, Bernard Gauthier a dit bien des choses controversées.

Tous les médias ont repris son commentaire sexiste sur les sujets de discussion des hommes et des femmes « après sept-huit bières » dans un barbecue. « Les femmes s’en vont parler de leur linge pis de leurs patentes, pis nous, on parle de politique. »

Je pourrais extrapoler sur ce qui arrive dans ces réceptions après 12-13 bières ou encore spéculer sur les autres « patentes » dont les femmes discuteraient à part leur linge. Je vous invite plutôt à traiter d’un autre sujet moins sexy, mais fort important critiqué par Bernard Gauthier : le placement de personnel dans l’industrie de la construction.

Selon lui, la nouvelle pratique implantée par les autorités dans la foulée des scandales de l’industrie de la construction « n’a jamais fonctionné et ne fonctionnera jamais ». Il faut dire que M. Gauthier est accusé d’avoir enfreint les nouvelles règles et qu’il pourrait ainsi perdre son droit de représentant syndical prochainement.

Comment fonctionne le placement, au juste ? Dans l’industrie, faut-il savoir, il est fréquent que des employeurs doivent recourir à des employés non réguliers afin de compléter leurs besoins de main-d’œuvre pour certains projets. 

Or, avant 2013, les entreprises n’avaient pas le choix pour ces employés excédentaires : elles devaient cogner à la porte des syndicats et accepter les menuisiers, grutiers et autres peintres qu’on leur soumettait.

Cette pratique de placement syndical attribuait un pouvoir discrétionnaire appréciable aux syndicats sur la gérance des entreprises ; les entrepreneurs pouvaient ainsi être victimes d’intimidation. De plus, des employés pouvaient se voir bloquer l’accès à certains chantiers s’ils n’étaient pas membres du « bon syndicat ».

Pour réformer le système, le gouvernement a mis en place un « carnet de référence », qui permet aux entreprises de choisir elles-mêmes leurs employés excédentaires avec un site internet géré par la Commission de la construction du Québec (CCQ). Le site est fonctionnel depuis septembre 2013 et le strict placement syndical est depuis interdit, sous peine de sanctions.

Trois ans plus tard, les employeurs se disent généralement satisfaits du nouveau système et estiment que la possibilité de choisir leur permet d’améliorer leur productivité. De leur côté, les syndicats jugent que le système est coûteux et n’a guère amélioré les choses.

Essentiellement, pour chaque demande d’un employeur, le site suggère plusieurs employés. Le système fonctionne à toute heure du jour et de la nuit. Au cours des 11 premiers mois de 2016, près de 4650 employeurs l’ont utilisé. C’est un peu moins qu’à la même période de l’année précédente (4720), mais le système a été utilisé plus souvent (20 508 déclarations de besoins contre 19 856 en 2015).

Encore aujourd’hui, faut-il savoir, les employeurs ont recours à leur propre main-d’œuvre dans environ 85 % des cas, tandis qu’ils s’en remettent à l’externe pour le reste. En 2016, le carnet de référence a ainsi comblé 6,1 % de leurs besoins, contre 5,4 % en 2015.

Ces 6,1 %, doit-on préciser, ne sont pas strictement comblés par la liste de la CCQ. Les demandes des employeurs sur le site internet sont également transmises aux syndicats, qui peuvent donc encore faire indirectement leurs suggestions. En 2016, les 6,1 % se déclinent ainsi : 3,8 % des employés viennent de la liste de la CCQ et 2,3 %, des associations syndicales.

Selon M. Gauthier, le système ne fonctionne pas parce que des « entrepreneurs [les] appellent encore directement. Ils n’ont pas le droit de le faire, mais ils le font parce que ça ne fonctionne pas », a-t-il dit à Tout le monde en parle.

Le dernier rapport de la CCQ, publié en avril 2016, n’est pas du tout du même avis. 

« Les employeurs ont significativement repris le contrôle de leurs embauches depuis la mise en ligne du Carnet référence construction. Les quelque 30 mois d’utilisation de la plateforme web (entre 2013 et la fin de 2015) leur ont permis d’élargir leur réseau personnel à l’aide de listes qu’ils conservent et consultent de façon autonome. »

La CCQ constate de plus une diminution de l’intimidation. Dans le secteur industriel, par exemple, 66 % des employeurs affirment que l’intimidation des syndicats à leur endroit a diminué.

Autre élément non négligeable : le carnet de la CCQ a aussi pour but de favoriser l’embauche de femmes dans une industrie jugée très sexiste. Or, le taux d’embauche des femmes avec le carnet web de la CCQ a été de 17 % en 2015, contre 12 % pour celui des hommes. En comparaison, ce taux d’embauche lorsque les suggestions viennent des syndicats a été de 11 % pour les femmes et 20 % pour les hommes.

Tout indique que les Rambo de la construction préfèrent encore que les femmes jasent de linge plutôt que de poutres d’acier…

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