À une certaine époque, tout le monde de la publicité et du marketing ne jurait que par le fameux livre du publicitaire Jacques Bouchard, fondateur de la grande agence BCP – devenue Publicis – sur les 36 cordes sensibles des Québécois.
Bouchard, c’était le père de la pub, le gars derrière deux immenses succès pour Labatt – « On est six millions, faut se parler » et avant ça « Lui y connaît ça », avec Olivier Guimond – et aussi de « Mon bikini, ma brosse à dents » pour Air Canada.
Bouchard, pour tous ceux qui sont nés dans les années 60 et 70, c’était le Don Draper du Québec, celui qui comprenait et qui faisait comprendre à ses clients, ces grandes entreprises en quête de débouchés spécifiques ici, que le marché francophone d’Amérique ne pouvait pas s’apprivoiser comme le reste du continent.
Vous vous rappelez la fameuse campagne pour Pepsi avec Claude Meunier, dans les années 80, si spécifiquement ciblée que le Québec est devenu le seul marché au monde où Pepsi devançait Coke ? Bouchard n’était pas derrière cette campagne en particulier, mais son travail, 15 ans auparavant, avait mis la table pour ce succès cité encore dans le monde entier.
Son livre, paru en 1978, décrivait les Québécois avec toutes sortes de traits issus de six grandes réalités. Leurs racines cathos, terriennes, minoritaires, françaises, latines et nord-américaines. Ainsi, il disait qu’on avait un côté « bas de laine » de minoritaires et que la xénophobie se rattachait à notre catholicisme alors que le bon sens était lié à nos origines terriennes… Le livre présentait ainsi 36 affirmations qui, aujourd’hui, peuvent sembler parfois vraies, parfois farfelues, mais qui ont été fort utiles pour les Dominion, Hydro-Québec et Laura Secord de ce monde et de cette époque. (Oui, c’était lui derrière les pubs avec les p’tits Simard et le fameux « On est 12 012… »)
Avec les années, toutefois, la crédibilité de ces fameuses cordes sensibles a été mise à mal par le simple passage du temps, mais aussi par leur côté arbitraire.
Ces traits de caractère étaient en effet basés uniquement sur l’expérience et les observations du publicitaire.
C’est pourquoi Jean-Marc Léger, le sondeur, s’est associé au prof de marketing Jacques Nantel et à celui qui était jusqu’à tout récemment journaliste économique, Pierre Duhamel, pour refaire en quelque sorte l’exercice, tout en l’ancrant dans des données récoltées par sondages.
Le livre lancé hier soir, , nous présente donc les Québécois en sept grandes nouvelles familles de cordes sensibles qui ne sont pas totalement différentes de celles dont parlait Bouchard.
Mais c’est un peu comme si on avait fait un bon ménage dans la fameuse liste et donné des coups de pinceau pour rafraîchir sérieusement le tout avec des outils beaucoup plus précis. Si bien que la nouvelle série de caractéristiques québécoises fait état de toutes sortes de transformations, petites et grandes. Le conservatisme, le bas de laine, le matriarcat, l’antimercantilisme ont pris le bord.
Le consommateur et l’entrepreneur québécois, maintenant, sont moins moutonniers et moins fatalistes, tandis que la recherche du confort, la joie de vivre, l’individualisme et le nationalisme continuent de faire partie de ce qui nous définit.
Peut-être que si Labatt reprenait sa fameuse pub « On est huit millions… » avec un mis à jour, ça marcherait autant ? Selon les auteurs, les milléniaux veulent conquérir le monde et sont marqués par une fierté collective… Mais n’était-ce pas vrai aussi des gens qui, jadis, ont piloté les Cascades, Bombardier et Aldo de ce monde d’un bout à l’autre de la planète ?
Il est difficile de contenir des concepts aussi vastes dans des catégories étanches, à l’abri de tout contre-exemple, mais voici en gros ce qui nous caractérise actuellement, selon les auteurs.
Notre quête du bonheur et de la joie de vivre, encore et toujours. La préférence pour le consensus plutôt que la confrontation ou la défense de grands principes à tout prix. Il y a aussi ce que les auteurs ont appelé « détachement », mais qui fait référence à une certaine paresse devant l’adversité, un relâchement devant l’effort. Cette caractéristique n’est pas glorieuse. Pour l’éducation ou l’environnement, en passant par l’aide sociale, on a de belles idées, mais on ne les met pas en application. Et même si on dit qu’on veut se lancer en affaires, on ne le fait pas, ou on le fait, mais on abandonne vite, dès le premier échec ou le premier succès…
D’ailleurs, la peur de l’échec fait partie des caractéristiques. Et l’esprit de clocher. Cela peut paraître négatif, mais pour les publicitaires, c’est une donnée qui demeure importante. Les annonces avec des vedettes locales continuent d’avoir plus de portée. Surtout s’il y a de l’humour ou de la chanson d’ici.
Mais ceci n’empêche pas les Québécois de se considérer comme créatifs et de croire à la créativité. Et ce n’est pas le succès d’entreprises comme le Cirque du Soleil ou d’artistes comme Xavier Dolan, évidemment, qui vont les faire changer d’avis. D’ailleurs, les Québécois sont encore et toujours fiers. Il y a 30 ans, ils aimaient se faire dire par la marque Habitant au sujet de ses soupes : « Il y a un peu de nous autres là-dedans. » Qui dit que ça ne marcherait pas en 2016 si le nous est joyeusement inclusif ?