Finance

À quand la hausse des ristournes ?

La croissance des excédents chez Desjardins, quoique hésitante à l’occasion, se poursuit, alors que les ristournes versées aux membres suivent la trajectoire inverse. Les réserves du mouvement sont désormais à ce point élevées qu’elles minent la rentabilité de l’institution. C’est le temps de renverser la vapeur, croit un financier qui s’est penché sur la question.

Carl Simard est président de Medici, firme de gestion de portefeuille servant une clientèle d’investisseurs privés. D’après une analyse réalisée en collaboration avec Aaron Lanni, analyste en investissement, les caisses populaires auront prochainement la capacité de remettre jusqu’à 1 milliard par an à leurs membres. Desjardins rétorque que c’est loin d’être le cas.

Michel Nadeau, ancien numéro deux de la Caisse de dépôt et placement du Québec et président de l’Institut sur la gouvernance, avait soulevé la question du faible taux de redistribution des excédents à la collectivité dans une lettre ouverte publiée en mars. Il parlait de la situation à la Caisse Pierre-Boucher, à Longueuil. « Les sociétaires se demandent pourquoi on doit distraire plus de 9 millions vers des réserves déjà très élevées ? Desjardins a un ratio de réserves de plus de 60 % plus élevé que les banques », écrivait-il alors.

Les ristournes à un creux

Une ristourne de 1 milliard constituerait un changement de cap spectaculaire. En 2016, la ristourne a touché un creux des dernières années à 144 millions.

En 117 ans d’histoire chez Desjardins, la ristourne la plus généreuse a été versée en 2007, soit avant la dernière crise financière. Elle avait atteint près de 600 millions.

Depuis, les excédents ont notamment servi à garnir les réserves pour nourrir la croissance interne de l’organisation et surtout satisfaire aux nouvelles normes réglementaires imposées à la suite de la crise financière.

Pour M. Simard, l’objectif au chapitre des capitaux propres est maintenant atteint, voire dépassé.

Ratio de capitaux propres

(montant des capitaux propres par rapport à l’actif total)

Ratio exigé par les accords de Bâle III : 11,5 %

Ratio selon l’objectif que s’est fixé Desjardins : 15 %

Ratio au 31 décembre 2016 : 17,9 %

D’après lui, Desjardins garde trop de capitaux dans ses coffres, au point que cela plombe sa rentabilité, calculée par le rendement des capitaux propres (RCP). Ce ratio financier, exprimé en pourcentage, sert à mesurer la rentabilité de l’avoir des membres. Le RCP de Desjardins, à 8 %, est rendu de moitié moindre à celui de ses concurrentes bancaires, autour de 14-15 %.

« Être bien capitalisée est un plus et ça n’a pas per se de rapport direct sur le ratio de productivité, rétorque Van Son Lai, professeur au département de finance, assurance et immobilier de l’Université Laval, à qui on a demandé son avis. C’est le capital économique qui représente la prudence et la résilience aux stress économiques. »

L’institution coopérative fait de son côté remarquer que la rentabilité des banques a suivi la même tendance depuis le resserrement des exigences réglementaires.

« Desjardins agit comme si le surplus de capital ne coûtait rien, soutient M. Simard. Or, l’argent n’est jamais gratuit. Si Desjardins conserve plus d’argent qu’il ne lui en faut pour croître, il devrait le distribuer aux membres. »

D’après le président de Medici, la coopérative n’a qu’à respecter son propre objectif de fonds propres (15 %) et améliorer de 5 à 10 % sa productivité pour se trouver en position d’augmenter les ristournes aux membres. « Avec un taux de croissance interne visé de 5 %, les ristournes pourraient raisonnablement atteindre 1 milliard, soit de 6 à 7 % des revenus. »

C’est d’autant plus vrai, selon lui, que Desjardins a annoncé en février la vente de Western Financial et de Western Life à une filiale de l’assureur Wawanesa. Une fois finalisée, la transaction rapportera 775 millions à la coopérative.

« Dans le fond, dit-il, Desjardins compense sa faible productivité et sa faible rentabilité en conservant plus de capital pour pouvoir assurer sa croissance. Il agit ainsi plutôt que de s’attaquer à son problème de productivité et de rentabilité. »

Taux de distribution des profits ou excédents en 2016

Desjardins : 14 %

Banque Nationale : 50 %

Ratio de productivité en 2016

(% de dépenses pour produire un dollar de revenu)

Desjardins : 74 %

Banque Nationale : 58,2 %

Source : Medici

Améliorer la productivité sans susciter de mécontentement

Chez Desjardins, on se défend de faire l’autruche. Du côté des revenus, la coopérative travaille à augmenter le taux de pénétration de ses produits chez ses membres. Actuellement, ceux-ci détiennent chacun quatre produits financiers en moyenne. L’institution fera des gains si le membre type adopte un cinquième produit.

Du côté des dépenses, l’attrition crée une occasion puisque 4000 employés de Desjardins partent à la retraite chaque année. Mais c’est complexe, prévient-on.

« Si, demain matin, on prend la décision, comme d’autres institutions, de fermer 300 points de service, il va y avoir un ressac énorme, dit Réal Bellemare, premier vice-président finances et chef de la direction financière. L’institution détient le plus vaste réseau de distribution de produits financiers avec plus de 1000 points de service dans la province. »

« C’est bien beau de poser des gestes pour améliorer vite la productivité en vue de verser des ristournes plus grosses, mais ça va être quoi l’impact sur l’image de Desjardins ? »

— Réal Bellemare, premier vice-président finances et chef de la direction financière de Desjardins

Pour ce qui est de la ristourne de 1 milliard, M. Bellemare n’y croit guère. « Il faut avoir un environnement propice pour le faire », dit-il. Un environnement propice signifie une croissance régulière, un environnement réglementaire stable, où le gouvernement ne demande pas chaque année de nouveaux requis de capital, et un environnement de taux d’intérêt favorable.

Néanmoins, Desjardins assure que l’outil est là pour de bon. On mène d’ailleurs une réflexion sur l’avenir de la ristourne pour la faire évoluer. Les conclusions de l’exercice devraient être divulguées cet automne.

En attendant, le mouvement a créé dans la dernière année un fonds de 100 millions pour soutenir le développement socioéconomique des régions, une autre forme de redistribution des excédents à la collectivité.

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