Suzie Perras, lancer du marteau

Madame Suzie et son marteau

Ils ont 50, 60, 80 ans. Ils s’entraînent comme des olympiens, enchaînent les compétitions et carburent aux records. Sur piste et sur pelouse, le nombre d’athlètes vétérans a quadruplé en cinq ans au Québec. Ils sont de plus en plus acceptés, et respectés. Aujourd’hui, La Presse vous présente la lanceuse du marteau Suzie Perras.

GRANBY — Dans le Club d’athlétisme Adrénaline, les jeunes l’appellent Madame Suzie. À 57 ans, elle est, de loin, la doyenne du groupe. Son âge l’a d’ailleurs longtemps fait douter. Lancer à 50 ans ? « Quand j’ai joint le club, je me sentais comme un imposteur. Ça m’a pris du temps à me sentir à l’aise, à réaliser que j’avais ma place. Je marchais sur des œufs. »

Deux fois par semaine, le mardi et le jeudi soir, elle s’entraîne en compagnie d’une trentaine d’athlètes, dont les plus vieux ont la jeune vingtaine. Les plus jeunes ? À peine 6 ans. Le groupe se disperse sur la piste et la pelouse de l’école secondaire Joseph-Hermas-Leclerc, à Granby. Chaque fois qu’elle y met les pieds, c’est comme si elle faisait un saut dans le passé.

« J’ai étudié à cette école quand j’étais jeune. On y présentait de l’athlétisme et je rêvais d’en faire. Mais mes parents n’avaient pas les moyens ; je viens d’une grosse famille, nous étions huit enfants. J’assistais à chacune des compétitions en me disant qu’un jour, ce serait à mon tour. » Puis les années ont passé, et le rêve a été mis de côté.

Passion tardive

Mère de quatre filles, Suzie a acquis sa passion pour le lancer sur le tard, vers 45 ans, par l’entremise de sa cadette. « Nous faisions de la course à pied en famille et, sur les conseils de notre entraîneur, nous avions commencé à courir sur piste, à Montréal, pour améliorer nos foulées. Ma plus jeune, Andréanne, aimait moins courir. Elle a vu des jeunes lancer le javelot. Elle a voulu essayer. »

La jeune fille de 12 ans lançait à Montréal. En raison de la distance, Suzie a commencé à superviser les séances d’entraînement de sa fille, à domicile. « L’entraîneur m’avait donné une formation de base. » Poids, disque, javelot. Tout y était. Et le marteau ? « Quand j’ai touché au marteau, j’ai su que c’était pour moi », raconte-t-elle.

Suzie aime la puissance en crescendo ressentie lors des rotations avant le lancer du marteau.

« J’aime cette force qui t’entraîne et que tu dois maîtriser, cette impression de lancer loin. »

Elle lance aussi le disque et le javelot. Mais ne lui parlez pas du lancer du poids. « Je déteste ça », murmure-t-elle.

Après s’être familiarisée avec l’objet, elle a tenté de se joindre à un club pour apprendre, s’entraîner. En vain. « J’ai frappé à plusieurs portes et, souvent, on m’a refusé l’accès. On disait qu’on priorisait le développement des jeunes. » Sa fille ayant délaissé le sport, Suzie s’est entraînée seule, sur son terrain de six acres à la campagne.

Faire sa place

À sa première compétition, elle a eu la désagréable impression d’être un chien dans un jeu de quilles. « Ils m’avaient classée parmi les seniors, des universitaires de fort calibre. Je n’avais pas ma place, je n’avais pas leur âge. C’était très démotivant. Il fallait que je sois déterminée, j’ai persévéré. » Aujourd’hui, les compétitions sont plus inclusives, se réjouit-elle.

Suzie n’a pas baissé les bras pour autant. Elle a continué de lancer. Sans trop y croire, elle a lancé une perche au président du Club Adrénaline qui, contre toute attente, l’a invitée à se joindre au groupe.

« Suzie est avec nous depuis six ans, on n’y voit que du positif, dit son entraîneur Fathi Boutardour, vice-président du Club Adrénaline. On mise sur son expérience, elle nous aide dans l’encadrement des jeunes au lancer, elle initie les petits. On apprécie beaucoup son travail avec nous, les athlètes la voient comme un bel exemple de persévérance. »

De son côté, Suzie a pu enfin perfectionner sa pratique. « Grâce à Fathi, j’ai réalisé que j’avais pris de mauvais plis, que ma technique était défaillante. Il fallait défaire ces habitudes, à mon âge, ce n’est pas drôle. J’ai laissé échapper quelques jurons. »

Suzie a pris la jeune Dora Parent-Delgadillo, 12 ans, sous son aile. La jeune fille compte parmi les meilleures de son âge au Québec. « J’aime pouvoir redonner. Il y a peu de relève en lancer, il faut intéresser les jeunes. Quand Dora lance, elle est lumineuse. »

Gardienne d’enfants depuis toujours, Suzie a l’habitude avec les jeunes. « Dans mon coin, j’ai longtemps été la gardienne du rang. J’ai gardé les enfants de cultivateurs. Les plus jeunes ont grandi, et je passe tranquillement à autre chose. »

Aujourd’hui, c’est l’athlétisme qui la rend heureuse. « Quand je vais en Ontario ou au Nouveau-Brunswick, je rencontre d’autres lanceurs vétérans, on tisse des liens. À mon âge, on a davantage hâte aux compétitions pour les rencontres que pour les résultats. »

La championne québécoise, qui a souffert d’un cancer, se remet d’un traitement-choc de chimiothérapie, reçu l’hiver dernier. Elle est parfois fatiguée.

« À notre âge, il faut s’accrocher, malgré la maladie et les blessures. Il ne faut jamais arrêter complètement et garder le moral. »

En 2015, elle a subi une double fracture à une cheville en courant sur une plaque de glace. On lui a conseillé d’arrêter. Elle a plutôt adapté sa motion au lancer du marteau. Elle ne court plus pour lancer le javelot.

Ses résultats ? À vrai dire, elle s’en moque un peu. Du moment qu’elle lance, et qu’elle fait partager sa passion. « Dora progresse bien. Et ma petite-fille, à 10 ans, commence à lancer. » Madame Suzie n’en demande pas plus pour être heureuse.

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