Science

La musique aussi planante que la drogue

C’est officiel : le slogan « sexe, drogue et rock and roll » est scientifiquement cohérent. Des chercheurs viennent de montrer pour la première fois que le plaisir d’écouter de la musique fait intervenir les mêmes mécanismes chimiques dans le cerveau que la consommation de drogue et le plaisir sexuel. La découverte suggère que la musique est un comportement qui a été favorisé par la sélection naturelle. 

Surfer sur les psychotropes

Que se passe-t-il dans votre cerveau lorsque vous hochez la tête frénétiquement au rythme d’un riff de guitare, que vous vous laissez emporter par le crescendo d’un concerto ou que la voix d’une chanteuse vous donne la chair de poule ? Des chercheurs de l’Université McGill viennent de montrer que vous surfez sur des opioïdes – des psychotropes générés par votre propre cerveau. Le système de récompense qui se met en branle est alors le même que celui qu’activent la nourriture, la drogue et le sexe.

« C’est la première fois que nous arrivons à montrer que les opioïdes cérébraux interviennent directement dans le plaisir musical », explique Daniel Levitin, professeur au département de psychologie de l’Université McGill et auteur principal de l’étude publiée dans Scientific Reports.

Des chansons sans émotion

Pour faire cette découverte, les chercheurs ont demandé à une vingtaine de participants de choisir deux pièces musicales qui suscitaient chez eux un plaisir intense. Leurs choix sont allés de Good Vibrations des Beach Boys à Ave Maria de Schubert en passant par des pièces de Pink Floyd, Mozart, Kylie Minogue, The Black Keys et autres Santana.

Ils ont ensuite administré aux participants de la naltrexone – un médicament qui bloque les effets des opioïdes et qui est souvent utilisé pour traiter les toxicomanes. Puis ils ont fait jouer leurs pièces favorites. En mesurant certains signes physiologiques chez les participants et en recueillant leurs impressions, ils ont découvert que la musique ne provoquait plus les mêmes émotions. Cela montre bien que ce sont les opioïdes qui les déclenchent.

« Je sais qu’il s’agit de ma chanson favorite, mais je ne ressens pas la même chose que d’habitude en l’écoutant », a affirmé un participant qui avait pris de la naltrexone.

Un avantage évolutif

Le fait que le cerveau humain réagisse chimiquement à la musique suscite une question : pourquoi un tel mécanisme s’est-il mis en place ? Il est possible que la musique soit comme la cocaïne, par exemple, qui « pirate » un mécanisme de récompense développé pour d’autres raisons sans apporter d’avantages (dans le cas de la cocaïne, les désavantages de la consommation sont au contraire criants).

Mais Daniel Levitin penche pour une autre hypothèse : celle voulant que ce mécanisme ait été favorisé par l’évolution. 

« La sélection naturelle encourage des comportements qui favorisent la perpétuation de l’espèce – manger, éviter le poison, avoir peur des serpents. Pouvoir communiquer par le langage et la musique aurait conféré des avantages similaires. »

— Daniel Levitin, auteur principal de l’étude

Concrètement, le chercheur croit que la musique aurait aidé l’être humain à se souvenir de choses importantes avant l’invention de l’écriture.

« Intégrés à une chanson, les mots sont plus faciles à retenir à cause des facteurs qui se renforcent mutuellement : le ton, le rythme, l’accent et les rimes », explique-t-il.

Une étude difficile

Daniel Levitin, lui-même musicien, a écrit plusieurs livres et mené de nombreuses études sur la façon dont le cerveau perçoit la musique. Il affirme cependant que celle-ci a été « la plus exigeante et la plus difficile » jamais entreprise. C’est qu’on ne donne pas des médicaments d’ordonnance à des participants à la légère. Il a fallu, par exemple, documenter la santé des sujets un an avant la prise du médicament pour s’assurer qu’ils n’avaient pas de maladie que la naltrexone aurait pu empirer. En tout, l’étude s’est échelonnée sur deux ans.

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