Mon clin d’œil

La consultation sur la discrimination systémique s’appellera désormais la patente à gosses.

Opinion Neutralité religieuse

Un projet de loi faussement neutre

Quel est l’objectif réel du projet de loi 62 adopté hier par le gouvernement libéral interdisant notamment aux femmes musulmanes de porter le voile intégral lorsqu’elles reçoivent un service de la part d’un employé d’un organisme public ? 

Il demeure difficile de le déterminer. D’une part, le titre même du projet de loi nous invite à conclure que ce dernier vise avant tout à favoriser la neutralité religieuse de l’État. D’autre part, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée a insisté, dans ses déclarations publiques, sur le fait que la loi en question facilitera la communication et l’identification des personnes, et qu’elle promouvra en outre la sécurité de tous. Ce sont là deux objectifs que cette loi remplira malheureusement très mal.

En effet, l’une des objections que l’on peut diriger contre une telle loi est qu’elle est faussement neutre, c’est-à-dire qu’elle prétend protéger la neutralité religieuse de l’État tout en la violant insidieusement. 

Si l’objectif du gouvernement est de promouvoir la neutralité dans les organismes publics, pourquoi interdit-il uniquement le port de la burqa et du niqab – mais aucun autre signe religieux – au sein des organismes publics ? 

Les kippas, les croix et les hijabs sont-ils plus neutres que les voiles intégraux ? On peut en douter dans la mesure où l’ensemble de ces signes témoignent de l’adhésion d’une personne à une foi particulière sans pourtant constituer un indicateur précis de la ferveur religieuse qui l’anime. 

Dans sa forme actuelle, la loi du gouvernement Couillard viole de fait ce que les juges de la Cour suprême des États-Unis nomment le « principe d’applicabilité général », selon lequel les lois de l’État ne doivent pas viser les pratiques d’une religion en particulier. Lorsqu’un ensemble de pratiques religieuses ont des effets similaires, toutes doivent être interdites ou permises, sans quoi on pourra conclure que le gouvernement poursuit ses objectifs de manière incohérente ou, pire, discriminatoire.

Que penser maintenant de l’idée que la loi en question facilitera la communication et l’identification des personnes, en plus de généralement promouvoir la sécurité de tous ? Là encore, le scepticisme est de mise. 

Y a-t-il en effet des raisons tangibles de croire que le port d’une burqa entrave réellement la communication ? Après tout, les femmes voilées semblent parvenir à très bien communiquer entre elles. 

Peut-on maintenant citer des cas réels où le port d’un voile intégral a menacé la sécurité des citoyens et des citoyennes ? La ministre de la Justice n’en invoque pas, et le gouvernement en place semble ici chercher des excuses pour s’opposer à une pratique qui lui déplaît sans vraiment savoir quel argument inventer pour la critiquer. 

Une fois de plus, un principe juridique nous permet de voir plus clair dans cette affaire : afin d’être considérée comme légitime, une loi devrait uniquement autoriser les mesures prohibitives les moins restrictives permettant de remplir les objectifs qu’elle vise. 

S’il demeure difficile de nier qu’il existe des situations dans lesquelles il sera nécessaire de demander à une femme portant un niqab ou une burqa de momentanément retirer son voile intégral afin qu’on l’identifie, on peut raisonnablement douter du fait qu’interdire à toute personne de voiler son visage dès qu’elle reçoit un service de la part d’un employé d’un organisme public représente la manière la moins restrictive de communiquer avec elle, de l’identifier ou encore de veiller à la sécurité de tous et de toutes.

Deux justifications du projet de loi adopté hier ont été avancées par les représentants du gouvernement en place. Or, aucune ne résiste à un examen critique attentif. En plus d’être démesurément prohibitive, la loi visant à favoriser la neutralité religieuse de l’État n’est paradoxalement pas neutre du tout.

* Étienne Brown enseigne également la philosophie du droit à l'Université de Montréal.

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