Chronique

L’échange : l’an 2 a son vainqueur

Je m’étais pourtant promis de ne pas écrire une autre chronique complète à propos de l’échange. Pourquoi revenir là-dessus, après tout ? Ce qui est fait est fait. Inutile de s’acharner, on ne réinvente pas le passé.

Mais voilà, en raison de sa sélection pour le trophée Norris – oui, oui, le trophée remis au MEILLEUR défenseur de la LNH –, je suis incapable de résister. Après tout, si je n’écris rien à ce sujet, les dirigeants du Canadien seront bien contents. Car ils ont beau vouloir passer à autre chose, cette transaction les hante de nouveau. Comme ce fut le cas l’an dernier quand les Predators ont atteint la finale de la Coupe Stanley.

Alors pourquoi devrais-je éviter le sujet ? Pourquoi devrais-je faire semblant qu’il s’agit d’un fait anecdotique juste assez intéressant pour susciter un aparté dans la conversation, du style : « Ah oui, by the way, vous avez vu ? Il pourrait gagner le Norris… »

Et je passerais ensuite aux « vraies affaires », comme le fameux plan secret du DG, l’espoir fou d’amener John Tavares à Montréal, la perspective de gagner le premier choix au repêchage à la loterie et, pourquoi pas, la promesse d’une meilleure « expérience client » au Centre Bell la saison prochaine.

Le CH est ennuyant comme la pluie depuis qu’il a déménagé ses pénates à Nashville, mais attendez un peu : ça va brasser au tableau indicateur durant les pauses au mois d’octobre ! Geoff Molson me l’a bien expliqué quand je l’ai rencontré à son bureau la semaine dernière.

Au-delà de l’ironie, je comprends très bien le désir du propriétaire-président de rendre le Centre Bell plus vivant l’automne prochain. Et tant mieux si les gens qui paient le gros prix pour leurs billets vivent une belle soirée.

Mais le plus important, et Geoff Molson le sait très bien, c’est de mettre de la vie au sein de la formation, de créer de l’espoir sur la patinoire avec du jeu vif et créatif, comme lui le faisait si bien. Hélas, chaque honneur qu’il reçoit, chaque réussite de sa puissante équipe rappelle à des centaines de milliers de fans que l’organisation, lors d’un jour de juin 2016, s’est départie du patineur le plus électrisant à avoir porté son uniforme depuis Guy Lafleur.

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Oui, je m’étais promis de ne pas écrire une autre chronique complète à propos de l’échange. Entre autres parce que le sujet demeure sensible dans l’opinion publique, même s’il est trop tard pour y changer quoi que ce soit. Résultat, je recevrai sans doute ce matin plusieurs courriels me demandant si je finirai bientôt par passer à autre chose.

Pour tous ceux-là, j’ai une réponse simple : les « gros » échanges, ceux qui mettent en cause des joueurs vedettes, font jaser des années après qu’ils ont été conclus. C’est une caractéristique du sport. Rappelez-vous l’immense couverture suscitée par le 20e anniversaire du départ de Patrick Roy, en 2015. Tous les acteurs de cette transaction savaient, depuis plusieurs jours déjà, que l’affaire rebondirait après toutes ces années. Ils ne s’étaient pas trompés.

Que m’écriront les plus durs à son endroit ? Ils tenteront de me convaincre qu’il était un immense problème dans le vestiaire.

Ah oui, vraiment ? Alors son départ aurait dû faire un bien tout aussi immense à l’équipe. Pourtant, Marc Bergevin a attribué les déboires de l’équipe en 2017-2018 à une mauvaise attitude. Même Carey Price, le joueur sur qui il mise tout depuis si longtemps, n’a pas été optimal à ce niveau. Et le capitaine Max Pacioretty ne mérite pas d’étoile dans son cahier.

En l’expédiant à Nashville, Bergevin croyait régler les ennuis de leadership au sein de son équipe. Pour ça, c’est raté. L’harmonie est meilleure dans le vestiaire, vous dites ? Hé, on est tous contents que le groupe s’entende bien ! Mais l’impact sur les résultats est nul.

OK, diront certains, mais ses revirements sur la patinoire ? ? ? Ah, ses revirements, soigneusement répertoriés dans nos médias, comme s’il avait fallu qu’il se transforme en défenseur « défensif » ! Après avoir entendu si souvent les dirigeants du CH rappeler qu’il fallait être bons sans la rondelle, on a presque oublié qu’il fallait être encore meilleurs en sa possession.

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Encore aujourd’hui, aussi ahurissant que cela puisse paraître, les têtes dirigeantes du Canadien sont ab-so-lu-ment convaincues d’avoir réussi un coup magistral en l’expédiant à Nashville.

L’équipe n’a pas franchi le premier tour la saison dernière, elle a été exclue des séries cette année, mais tout cela ne compte pas quand ils repensent à la transaction.

À leurs yeux, ce gars-là devait quitter Montréal. Et son remplaçant apporte tellement « d’intangibles » à l’équipe, comme nous l’a répété le DG en janvier dernier.

Comme l’impression que lui aussi en apporte aux Predators. Comme il l’a fait avec le CH lors des merveilleuses séries de 2014. Soyons réalistes : sans ses performances extraordinaires, l’équipe aurait-elle vaincu les Bruins de Boston pour atteindre la demi-finale de la Coupe Stanley ? Comme quoi on peut bien voir les « intangibles » qu’on veut.

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C’est spécial quand on y pense. Les Predators, eux, ont réussi à canaliser son énergie. Ils lui ont appris à mieux jouer selon le cadran, à adapter son jeu à la situation sur la patinoire. En lui disant d’être lui-même, ils l’ont doucement amené à améliorer sa prise de décision. Et voilà qu’à l’âge de 28 ans, il connaît sans doute sa meilleure saison dans la LNH.

Au moment de la transaction, plusieurs amateurs croyaient que le CH en sortirait gagnant à court terme. Et que le passage des années – Shea Weber est de quatre ans plus vieux – avantagerait ensuite les Predators.

Ce n’est pas ce qui se produit. La saison dernière, les Predators ont gagné l’an 1 de l’échange. Et cette année, ils remportent l’an 2. Il faut maintenant espérer que le CH renverse la vapeur la saison prochaine, que son remplaçant ait encore quelques bonnes saisons dans le corps et fasse un jour pencher la balance au sein de la formation. Mais tout cela devra se produire plus tôt que tard.

Alors, oui, je m’étais promis de ne pas écrire une autre chronique complète à propos de l’échange. Désolé, c’est impossible dans les circonstances. Mais au moins, je n’ai pas mentionné son nom une seule fois. Quelque chose me dit pourtant que vous savez très bien de qui je parle.

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