Opinion

Rompre avec le football de la NFL après l’avoir tant aimée

Dans les années 80, j’ai reçu un maillot blasonné du chiffre 1. C’était le maillot de Warren Moon, le quart-arrière des Oilers de Houston. Moon était beau, agile et, à ce moment, un des trois seuls quarts-arrières noirs de la National Football Ligue (NFL). Je ne connaissais pas cette statistique à mon jeune âge, mais je savais bien que Moon était différent de mon copain imaginaire de l’époque, Joe Montana, qui, lui, était quart-arrière des 49ers de San Francisco.

Dès lors, mes dimanches se sont résumés à trois lettres : N-F-L. Et pendant les 30 prochaines années, mon programme dominical a consisté à mettre de côté mes tâches et à me concentrer uniquement sur les équipes qui jouaient et aux analyses pré et post-matchs.

Cela fait maintenant deux saisons que je ne regarde plus le football, parce que le sort réservé au joueur Colin Kaepernick est le tacle de trop, l’indécence qui ne passe pas, l’outrage indigeste.

En rendant Kaepernick persona non grata et en menaçant de pénaliser les autres joueurs qui oseraient s’agenouiller pendant l’hymne national afin de nous conscientiser aux problèmes d’inégalités sociales et raciales qui minent les États-Unis, le message de la NFL aux joueurs est clair : votre droit de liberté d’expression, garanti par la Constitution, et vos revendications – celles qui souhaitaient aborder les flagrantes infractions perpétrées par certains membres des forces de l’ordre contre des communautés historiquement privées de justice, dont plusieurs d’entre vous sont issus –, on s’en balance.

Alors peut-on appuyer Kaep et continuer de suivre la NFL ? Je ne pense pas.

La politique n’a pas sa place dans le football, vous diront certains. Mais l’affaire Kaepernick n’est pas politique, qu’importe ce qu’en tweete Donald Trump. Elle est sociétale. Tout comme le cancer du sein.

Jusqu’à récemment et depuis huit saisons, tous les terrains de football de la NFL arboraient une version gazonnée d’un ruban rose, pendant le mois d’octobre. Toutes les équipes ornaient leurs uniformes de la couleur rose, symbolique de la cause, pour promouvoir la sensibilisation au cancer du sein et sa prévention. C’est une superbe initiative qui a réussi à amasser des millions. Une femme sur huit recevra un diagnostic de cancer du sein au courant de sa vie. Vouloir se joindre à cette importante bataille est plus socialement acceptable et dérange moins que de demander justice pour un segment de la population dont les droits ont si souvent été bafoués que nous en sommes aujourd’hui peu surpris.

Violence conjugale

Les amateurs de football sont souvent friands de statistiques, alors en voici d’autres : 

– Les Noirs représentent 13 % de la population américaine et 49 % des personnes tuées par la police ;

– 70 % des joueurs de la NFL sont noirs ; 100 % des patrons d’équipe ne le sont pas ;

– 1 femme sur 4 a été victime de violence conjugale ;

– Depuis 2000, il y a eu plus de 100 arrestations de joueurs pour violence contre des femmes.

Ces chiffres s’infiltrent parfaitement dans tous les autres répertoriés par la NFL, entre les touchés comptés et les verges courues, puisqu’avant que plusieurs ne soient captés sur vidéo, les joueurs de la ligue accusés de violence conjugale, dont un certain Warren Moon, n’ont subi aucune réelle conséquence. La NFL a toujours choisi de fermer les yeux. Des joueurs interpellés par la justice pour violence conjugale demeurent en uniforme et sur le terrain. Kaepernick, lui, est radioactif aux yeux des propriétaires d’équipe. Ah, et aussi : les femmes représentaient 45 % du public de la Ligue, en 2015.

Une désinvolture payante

Selon une étude actuarielle commandée par la NFL, 33 % des joueurs de la Ligue auront besoin d’une importante assistance médicale à vie, une fois leurs jours de gloire terminés.

Des ténors du sport et membres du Temple de la renommée de la NFL tels que Troy Aikman, Mike Ditka et Brett Favre ont affirmé qu’aujourd’hui, ils ne laisseraient jamais leurs enfants jouer au football. Parce que les ravages de l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC), causée par les traumatismes au cerveau et qu’on retrouve en chiffres alarmants chez les joueurs de football, commencent dès les ligues mineures. Ce n’est que depuis 2016 que la NFL admet, du bout des lèvres, que l’ETC est un réel problème. Son protocole, pour les commotions cérébrales, demeure risible. Une désinvolture malsaine mais rentable.

Avec son appui à la prévention du cancer du sein et ses initiatives pour honorer les vétérans, notamment, la Ligue prouve qu’elle n’est pas en complète faillite morale.

Alors pourquoi la liberté d’expression, les droits civiques, le respect des femmes et le bien-être des joueurs importent-ils si peu pour la NFL ?

Elle qui est composée d’équipes qui, combinées, valent plus de 60 milliards de dollars et qui pourrait être encore plus influente si elle s’engageait plus positivement dans le tissu social qui l’a rendue si riche.

Aucune ligue professionnelle n’est parfaite. La NFL, elle, est douloureusement imparfaite.

Le journaliste Malcolm Gladwell a dit qu’un jour, il serait gênant d’admettre qu’on regarde le football américain. Ce jour serait-il arrivé ?

Des suggestions

Au lieu de regarder le LIIIe Super Bowl aujourd’hui, voici des suggestions qui pourraient vous intéresser : 

– Le documentaire de Sean Pamphilon United States of Football, offert sur iTunes ;

– League of Denial, un documentaire de PBS

– La série documentaire Rest in Power : The Trayvon Martin Story, produite par Jay-Z

Le documentaire Love You to Death : A Year of Domestic Violence

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.