Chronique

Geoff Molson ne panique pas

Les affaires de Geoff Molson roulent rondement, ces jours-ci. Le Festival de jazz et Osheaga voguent de succès en succès, la Place Bell et le Rocket suscitent l’enthousiasme à Laval, un troisième gratte-ciel verra bientôt le jour dans les Tours des Canadiens et un splendide resto-bar sportif de 1400 places, la Taverne moderne 1909, crée un nouveau centre de revenus pour l’organisation.

Il n’y a qu’une chose qui cloche : le Canadien. Manque de chance, c’est l’actif sur lequel repose l’image de marque du Groupe CH.

Le pénible début de saison de l’équipe suscite le mécontentement des amateurs. Le malaise est plus profond qu’une déception passagère provoquée par une série de défaites. Comme si le discours de ses dirigeants, toujours plus aptes à trouver des excuses que des solutions, ne passait plus.

Assis sur une banquette de la Taverne hier matin, où il venait d’annoncer avec ses partenaires de Cadillac Fairview et Canderel la construction d’un immeuble de 55 étages aux abords du Centre Bell, M. Molson n’a éludé aucune question. Les difficultés actuelles du Canadien ne lui font perdre ni son flegme ni sa gentillesse.

De ses propos, je retiens son appui indéfectible au directeur général Marc Bergevin, son refus absolu d’envisager une reconstruction complète de l’équipe et sa conviction que le Canadien participera aux séries éliminatoires. « Je comprends le feeling de nos partisans, dit-il. Mais appuyer sur un bouton de panique, ce n’est jamais la solution. »

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Le Canadien compte des millions de fans au Québec. C’est pourtant une décision s’adressant à quelques milliers d’entre eux, les détenteurs d’abonnements, qui a provoqué un fort ressac : l’ajout de frais pour recevoir des billets imprimés. Cette initiative, à première vue banale, s’est transformée en symbole d’avidité.

« Ç’a été perçu comme un money grab, reconnaît M. Molson. Mais ce ne l’était pas du tout. Nous avons agi ainsi pour essayer de maximiser la conversion aux billets mobiles, qui seront bientôt utilisés partout. Mais les réactions nous ont obligés à réfléchir à cette stratégie. On a écouté et on évoluera pour l’année prochaine.

« Entre-temps, nous lançons des initiatives qui seront appréciées de nos partisans et de nos abonnés. Ainsi, on a eu un jamboree avant deux matchs. On a maintenant nos “samedis fanatiques”, où le prix des hot dogs n’est pas le seul élément. Il y a aussi un DJ, la participation de nos anciens Canadiens, une présence plus importante de Youppi !, car les gens nous disent que les enfants ne le voient pas assez. C’est juste le début. On essaiera d’autres choses encore, comme mettre l’accent sur les étudiants, qui représentent le futur. »

Cette approche, nouvelle pour le Canadien, marque un changement de cap bienvenu. Mais elle indique aussi que pour la première fois depuis une dizaine d’années, des efforts de marketing sont nécessaires pour attirer les clients. L’organisation ne peut plus les tenir pour acquis. Son monopole a découvert ses limites.

Cela dit, M. Molson réalise que la relation avec les amateurs s’appuie d’abord sur le rendement de l’équipe. S’il estime que l’« engouement » envers le Canadien demeure très fort, il reconnaît que l’élimination rapide du printemps dernier, combinée à un début de saison pénible, augmente « la tension et l’inquiétude des partisans ». La première solution ? « Gagner », répond-il simplement.

Mais compte tenu des trop rares victoires, les reproches envers l’organisation vont dans tous les sens. « Quand ça va mal, les émotions sortent, affirme M. Molson. Pour moi, la stabilité et la continuité sont importantes. Est-ce que ça m’inquiète qu’on ne gagne pas ? Toujours ! Mais si j’ai les bonnes personnes en place, et c’est ce que je crois, ça m’inquiète moins. Parce que [le succès] va venir. Moi, je dois être patient. On est en train de bâtir une équipe et on veut gagner avec cette équipe. »

En clair, la place de Marc Bergevin n’est pas en danger. Et cela, même si ses nombreuses déclarations sur les défis liés à ses responsabilités (difficulté de conclure des échanges, contrainte du plafond salarial, imprévisibilité du repêchage) donnent parfois l’impression qu’il est à court de solutions.

M. Molson rejette cette interprétation. « Je pense que c’est une perception, dit-il. La réalité, c’est qu’il n’a pas tort, c’est un travail difficile ! Les 30 autres DG répondraient la même chose. Marc est un homme très honnête, qui parle avec son cœur. Il n’a pas peur de prendre des décisions ardues. Ce qui est important, c’est le respect dont il profite à travers la Ligue nationale et grâce à son travail pour essayer d’améliorer l’équipe. Ça n’arrête jamais, c’est incroyable. »

En désaccord avec une idée en vogue, M. Molson ne croit pas que la « fenêtre d’opportunité » du Canadien se soit refermée depuis deux ans. « À l’interne, on sent notre potentiel de gagner. On a une très bonne équipe. »

M. Molson note que, depuis la nomination de Bergevin au printemps 2012, plusieurs indicateurs sont positifs pour le Canadien : nombre de victoires, matchs joués en séries... « On fait partie du top 10, on a connu du succès. Nous avons eu une saison très difficile en 2015-2016 avec la blessure de Carey Price. Mais à part ça, on a très bien performé. »

Sur cet élan, M. Molson ajoute : « Quand j’entends que le recrutement n’est pas bon – et je l’entends souvent ! –, je pense à Arturri Lehkonen, Charles Hudon, Jacob De La Rose et Victor Mete. Voilà quatre jeunes qui ont réussi à faire l’équipe cette saison. C’est bon signe, ça ! Et on en a d’autres qui s’en viennent... »

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Les ennuis du Canadien, combinés à la réussite des « nouveaux » Maple Leafs de Toronto, amènent beaucoup de partisans à rêver d’une reconstruction complète. Mais cette piste de solution n’est pas dans les cartons de M. Molson.

« Ce n’est pas comme si nous étions parmi les 20 derniers au classement depuis cinq ans ! », dit-il, rappelant que les équipes entreprenant une reconstruction ont connu plusieurs saisons de petite misère. Les Oilers d’Edmonton, par exemple, ont raté les séries éliminatoires 11 années d’affilée.

En clair, M. Molson veut renforcer l’équipe, et non pas tout saborder. « On se reparlera après 60 matchs, dit-il. Moi, j’y crois. Il faut espérer qu’on soit en santé, que les vétérans en fassent un peu plus et que les jeunes grandissent plus rapidement. On va voir, mais je fais encore beaucoup confiance à cette équipe et certainement à ses dirigeants. »

M. Molson demeure positif et ne panique pas. Reste maintenant à savoir si, au printemps prochain, la Taverne moderne 1909 servira à célébrer de grandes victoires ou à oublier de douloureux échecs.

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