ANALYSE

Une démarche unilatérale aux lendemains incertains

QUÉBEC — Certains croient qu’Elvis n’est pas mort il y a 40 ans. D’autres sont convaincus que l’accord du lac Meech vit toujours.

Le gouvernement Couillard a voulu ressusciter cette semaine les cinq conditions posées par le Québec à son adhésion à la Constitution canadienne de 1982. Comme le générique d’un ultime épisode de Retour vers le futur. Hier, l’ex-sénateur Jean-Claude Rivest, l’alter ego de Robert Bourassa, se souvenait d’une sombre réunion de juin 1990 où, solennel, le ministre Gil Rémillard avait fait une entrée percutante. « Meech n’est pas mort ! », avait lancé le constitutionnaliste. En fait, tout le monde savait participer à une veillée funèbre.

Personne ne pouvait dire que le travail n’avait pas été fait. Dès la campagne électorale de 1984, Brian Mulroney, candidat conservateur, avait promis de réintégrer le Québec « dans l’honneur et l’enthousiasme », une formule que lui avait soufflée son copain Lucien Bouchard. Au Québec, le « discours du mont Gabriel » avait inscrit dès 1986 ce qui allait devenir les cinq conditions de Meech, les revendications du gouvernement Bourassa pour signer la Constitution. Pendant plus d’un an, les fonctionnaires québécois et fédéraux avaient sillonné les provinces afin d’obtenir une adhésion tacite des gouvernements. L’entente de principe de mars 1987 était le fruit d’un travail de longue haleine, rappelle M. Rivest. Comme ce dernier, l’ancien ministre libéral Benoît Pelletier, constitutionnaliste, convient facilement « qu’il n’y a pas d’appétit actuellement pour une telle réforme ». Même Philippe Couillard le reconnaissait jeudi.

Que ce soit sous Lester B. Pearson, sous Pierre Elliott Trudeau ou sous Brian Mulroney, les réformes constitutionnelles, avortées ou réussies, avaient été élaborées avec l’approbation du premier ministre canadien. 

La fin de non-recevoir pour le moins désinvolte de Justin Trudeau, jeudi, ne laisse guère de doute sur l’absence d’intérêt du fédéral.

À Davos, en début d’année, M. Couillard avait prévenu Mélanie Joly, inquiète qu’il compte déposer un tel document. Être Québécois « est notre façon d’être Canadien », expliquait-on à Ottawa. Puis des mois de silence radio, jusqu’à un coup de fil de Québec à Ottawa : M. Couillard fera une conférence de presse « demain ». Ottawa devait attendre la présentation de l’après-midi, Justin Trudeau a eu à commenter la « réouverture du dossier constitutionnel » dès la matinée et, surtout, sans que son équipe ait même une copie du document québécois.

Depuis, ni Trudeau ni aucun premier ministre provincial n’a montré une once de sympathie pour la démarche du Québec, relève Jean-Claude Rivest. Fait significatif, le Parti conservateur et le NPD n’ont pas même soulevé cet enjeu durant leurs campagnes à la direction.

C’est peu dire qu’il n’y a pas d’appétit au Canada ni même au Québec pour les questions constitutionnelles. Dans la course à la succession de Jean Charest, Philippe Couillard avait, d’entrée de jeu, souligné qu’il espérait un déblocage pour 2017, au 150e anniversaire du Canada. Devenu chef, puis premier ministre, il a rapidement baissé la barre, conscient, explique-t-on, de la totale indifférence des autres gouvernements.

Le gouvernement Harper visait une réforme importante du Sénat – il avait besoin de l’unanimité des provinces pour cette réforme d’une institution fédérale. Ce projet n’étant plus à l’ordre du jour, le Québec n’a plus ce levier pour ramener une « ronde Québec » au Centre de conférences à Ottawa.

En fait, c’est probablement en pensant à la Coalition avenir Québec et au Parti québécois que la démarche a été conçue. Jean-François Lisée et François Legault attaquent le chef libéral pour le mutisme de son programme sur la question nationale. François Legault surtout le presse d’être plus revendicateur, se faisant fort de fédérer l’électorat nationaliste. 

Avec un document de 200 pages, Philippe Couillard soutiendra qu’il n’y a plus de case vide à sa feuille de route.

La « Politique d’affirmation du Québec » rendue publique cette semaine ne reprend pas la formule de la « société distincte » qui avait irrité le Canada anglais – une « distinct society » donnait aux anglophones l’impression que le Québec voulait regarder de haut ses partenaires. On parle maintenant de la « reconnaissance adéquate de la Nation québécoise, et aussi des nations autochtones » sans que cela contrevienne à l’unité et au développement du Canada. En clair, cette reconnaissance « adéquate » n’a pas d’impact juridique ; à la différence de la société distincte de Meech, elle n’est pas une balise dans l’interprétation de la Constitution. Bien plus que l’immigration, la Cour suprême ou le pouvoir fédéral de dépenser, la portée juridique de la société distincte a été le principal écueil à son adoption.

Le gouvernement Charest, avec le rapport de Benoît Pelletier en 2001, espérait faire progresser le Québec par des voies autres que constitutionnelles. Démarche qui ressemble davantage à celle choisie par le gouvernement Couillard cette semaine, Jean Charest avait sillonné le pays pour faire avancer l’idée d’un Conseil de la fédération, un creuset pour permettre aux provinces de se concerter devant le gouvernement fédéral. L’expérience a fait long feu ; depuis plusieurs réunions, on n’utilise plus l’étiquette du « Conseil de la fédération ». Parfois invités, les premiers ministres fédéraux n’ont jamais participé à l’événement. Mais Ottawa ne perd pas de vue ce qui s’y trame – la permanence de l’organisation est sous l’égide d’un secrétariat financé par Ottawa.

Le document préparé par le ministère de Jean-Marc Fournier avait été soumis à deux occasions au Conseil des ministres à Québec. Philippe Couillard est au bâton, mais c’est surtout M. Fournier, le ministre des Affaires intergouvernementales, qui en fait la pédagogie.

La Constitution a toujours été le fonds de commerce de M. Fournier – il était déjà, à l’époque de Meech, attaché politique au cabinet de Gil Rémillard. Ses maux de dos récurrents – le support lombaire est réapparu sur son siège à l’Assemblée nationale – ne l’empêcheront pas de faire le tour des provinces pour aller expliquer la position du Québec. Canne ou bâton de pèlerin ? Dans tous les cas, la démarche promet d’être longue et douloureuse.

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