Santé

Le verdict sur les soins aux patients

Les experts consultés par La Presse ont analysé cinq critères concernant les soins aux patients. Voici leurs verdicts.

Soins de première ligne

L’une des priorités du ministre Barrette est d’améliorer l’accès à un médecin de famille au Québec. Pour y arriver, il a fait adopter la loi 20, qui établit entre autres des quotas de patients par omnipraticien. Ceux qui n’atteindront pas ces cibles en 2018 subiront des sanctions financières. M. Barrette a aussi mis sur pied un guichet d’accès unique et veut qu’en 2018, 85 % de la population ait un médecin de famille. Selon les données les plus récentes, le taux d’inscription de patients est actuellement de 74 %. Le Parti libéral a enfin promis d’avoir 2000 superinfirmières d’ici 2024. La province en compte actuellement 402.

Verdict : échec

De l’avis des experts, investir dans la première ligne est un objectif valable. « Car plusieurs activités n’ont pas besoin d’être faites à l’hôpital, dans un environnement dispendieux », note Joanne Castonguay. Les experts estiment toutefois que la loi 20 n’est pas la bonne façon d’améliorer l’accès aux soins de première ligne. Selon eux, l’approche punitive préconisée dans cette loi ne permettra pas de mobiliser les efforts. La loi 20, tout comme le guichet d’accès unique, met également un accès trop prononcé sur l’accès, et pas assez sur la prise en charge des patients. « On vise la quantité plutôt que la qualité. Ça va pénaliser les populations les plus vulnérables », croit Paul Lamarche.

La définition de soins de première ligne du ministre semble aussi trop restrictive au goût des experts, qui estiment que la participation de plusieurs autres professionnels devrait être favorisée.

En ce qui concerne l’implantation d’infirmières praticiennes spécialisées dans le réseau, leur nombre reste faible. De l’avis de M. Lamarche, pour avoir un effet majeur sur la prise en charge et les soins de première ligne, il faudrait revoir le mode de rémunération des médecins. « Si le médecin était rémunéré en fonction de l’ensemble des services offerts aux patients, il y aurait plus d’impact », précise-t-il. « L’objectif de vouloir améliorer les soins de première ligne est le bon. Mais on ne se donne pas les moyens d’y arriver », conclut Mme Castonguay.

Temps d’attente aux urgences

En 2015-2016, la durée moyenne de séjour dans les urgences du Québec a diminué de près d’une heure par rapport à l’année précédente et atteignait 15,7 heures. Malgré tout, le Commissaire à la santé et au bien-être affirmait à l’été 2016 que le Québec affichait la pire performance en Occident à ce chapitre. En décembre 2016, M. Barrette a annoncé l’octroi de 100 millions de dollars afin d’ouvrir des lits d’hébergement pour désengorger les urgences. Environ 10 à 15 % des lits de courte durée dans les hôpitaux sont occupés par des patients en attente d’hébergement. Pour inciter les gens à éviter les salles d’urgence, il veut créer 50 supercliniques d’ici 2018. Deux ont vu le jour jusqu’à maintenant.

Verdict : échec

Les experts soulignent que plusieurs mécanismes engorgeant les urgences ne sont toujours par réglés au Québec. Par exemple, plusieurs des patients qui se présentent aux urgences sont déjà hébergés en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) ou en ressource intermédiaire. « Mais parce qu’il n’y a pas de médecin dans ces établissements, on les envoie à l’urgence quand ils sont malades », soutient M. Lamarche, qui ajoute que les urgences doivent aussi cesser d’être « la voie royale de l’hospitalisation ».

Investir dans des lits d’hébergement n’est pas vain. Mais agir en amont et en aval des urgences n’est pas suffisant. Québec doit notamment trouver des solutions afin d’adapter le nombre de médecins de garde aux urgences en fonction du volume de patients, tel que recommandé dans le plus récent rapport du Commissaire à la santé et au bien-être.

Mme Castonguay souligne que le ministre oblige maintenant les nouveaux médecins de famille pratiquant aux urgences à prendre en charge 500 patients par an. « Est-ce qu’on ne va pas aggraver ainsi le problème de disponibilité des médecins dans les urgences ? », demande-t-elle.

Aînés

À l’été 2016, le ministre a multiplié les annonces d’investissements en soins à domicile dans plusieurs régions du Québec. Un Forum sur les meilleures pratiques en CHSLD a été tenu en novembre. Quelques jours plus tard, le ministre a convié les journalistes à une dégustation de repas en CHSLD et a promis d’améliorer la qualité de la nourriture servie aux patients.

Verdict : échec

Pour Joanne Castonguay, les différentes actions du gouvernement en matière de soins aux aînés sont « des peccadilles ». « Donner de la meilleure nourriture, ça devrait être fait à la base ! En parler, c’est scandaleux », dit-elle.

Un avis partagé par tous les experts, pour qui le sujet des aînés n’est tout simplement « pas une priorité ». Mais Jean-Louis Denis se garde de jeter tout le blâme sur le gouvernement actuel. « Ça dure depuis des années. On s’est habitués à tolérer l’inacceptable. Le plus petit dénominateur commun en matière de standards est devenu la pratique usuelle », dit-il.

Les experts estiment que tout comme les meilleures pratiques sont recherchées quand un patient est opéré au cerveau, la même logique devrait toucher les soins aux aînés. « Mettre plus d’argent, c’est bien. Mais il faut surtout faire mieux », dit M. Denis.

M. Lamarche raconte le cas d’un de ses proches hébergé en CHSLD. « Il n’est pas incontinent. Mais on lui met une couche car on n’a pas le personnel pour l’amener aux toilettes. Ce n’est pas un manque de ressources, c’est un manque de vision », dit-il. M. Lamarche juge positivement la décision d’investir en soins à domicile, mais il souligne que les besoins ont explosé à un rythme plus élevé ces dernières années.

Soins de fin de vie

À l’été 2014, le ministre Barrette a poursuivi le travail mené par la députée péquiste Véronique Hivon et mis en œuvre la Loi québécoise sur les soins de fin de vie.

Verdict : succès

Même s’ils constatent que la maternité du projet appartient à Véronique Hivon, les trois chercheurs consultés par La Presse sont unanimes : ils saluent l’adoption de cette loi, « un véritable succès ». « Voilà un secteur où on fait deux choses qu’on ne fait pas ailleurs : on a osé penser à des politiques innovantes. On a osé planifier en conséquence. […] Il faudrait que ce modèle soit plus utilisé : de l’audace, de la capacité d’exécution, du dialogue social », dit M. Denis. 

Accès aux spécialistes et aux tests diagnostiques

Au cours des derniers mois, le ministre a effectué plusieurs annonces permettant d’améliorer l’accès aux services spécialisés. Il a annoncé 20 millions pour améliorer l’accès aux interventions chirurgicales et 21 millions pour réduire les délais d’attente pour certains tests diagnostiques comme les coloscopies. Après quelques rebondissements, les échographies en cabinet privé sont maintenant gratuites lorsque réalisées par un radiologiste. Depuis octobre, des centres de répartition des demandes de services ont été ouverts aux quatre coins du Québec pour permettre aux médecins de famille d’obtenir plus facilement une consultation auprès d’un spécialiste. Certains ratés ont toutefois été constatés, si bien que Québec a accepté, la semaine dernière, de ralentir l’implantation du projet.

Verdict : échec

D’emblée, M. Lamarche se questionne sur la gratuité des échographies en cabinet privé adoptée par le ministre. « Pourquoi la gratuité touche-t-elle seulement les radiologistes ? Pourquoi pas les autres spécialistes ? Et pourquoi envoyer les patients vers le privé et non pas rapatrier ces services à l’hôpital ? », demande-t-il. M. Lamarche estime aussi qu’investir quelques millions dans des secteurs précis comme la coloscopie relève de la « microgestion ». M. Denis juge, quant à lui, positivement le fait que des services soient délégués hors de l’hôpital. « Les systèmes qui aspirent à la performance visent, même pour des conditions complexes, à minimiser l’utilisation des hôpitaux », dit-il. Le chercheur constate toutefois qu’à l’exception de secteurs prioritaires comme les opérations de la hanche, du genou et de la cataracte, l’attente pour plusieurs interventions chirurgicales est encore parfois spectaculaire au Québec.

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