La passion selon Diane Juster

Si vous avez regardé samedi dernier l’émission d’En direct de l’univers consacrée à Dominique Michel, vous faites probablement partie des dizaines de milliers de téléspectateurs qui ont été mis K.-O. par Diane Juster, grâce à sa renversante interprétation de Ce matin, l’une plus grandes chansons de brisure amoureuse qui soit.

Je me doutais bien que cette émission serait forte en émotions. Mais j’avoue que celle-là, je ne l’ai pas vue venir. La voix, le piano, l’intensité… tout était impeccable.

Quarante-huit ans après sa création, cette chanson demeurée puissante est entrée dans les maisons du Québec en mouillant de nombreuses paires d’yeux et en déclenchant un torrent de larmes sur les joues de notre Dodo nationale.

France Beaudoin m’a confié que lors des répétitions tenues en après-midi, l’équipe a senti que ce moment, précédé par celui de Ginette Reno qui a interprété Je ne suis qu’une chanson, autre monument ciselé par Diane Juster, ne passerait pas inaperçu. Ce fut le cas.

Je me suis entretenu avec Diane Juster mardi alors qu’elle se préparait à présider la remise de prix du 17Gala de la Fondation de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ). Je lui ai demandé si des moments comme celui-ci lui donnaient le goût de remonter sur scène.

« Honnêtement, non, m’a-t-elle dit avec une étonnante franchise. Ça m’a fait extrêmement plaisir, car ça faisait 20 ans que je n’avais pas reçu l’émotion des autres. C’est beau de voir à quel point les Québécois sont émotifs, ils sont capables de s’attendrir ou même de pleurer. »

« Ce moment m’a fait du bien. Je peux maintenant attendre 20 ans avant que ça ne se reproduise. »

— Diane Juster

Il ne faut pas compter sur Diane Juster pour nourrir les regrets et la nostalgie. « Au fond, je ne suis pas une fille de public. J’aime l’intimité, je n’aime pas les caméras. Je l’ai fait quand j’étais une jeune chanteuse, car j’avais besoin de partager mes chansons. J’écrivais ma vie. Mais le jour où j’ai rencontré des auteurs, ça ma retirée de l’écriture et de la lumière. J’aime les spectateurs un par un, mais en groupe, je ne suis pas confortable avec ça. À cela, tu peux ajouter un peu de paresse, je le reconnais. »

C’est par d’autres moyens que Diane Juster a laissé s’exprimer la grande passionnée qu’elle est, particulièrement avec les nombreux combats qu’elle mène depuis une quarantaine d’années pour défendre les droits des créateurs de chansons et de musique. Avec Luc Plamondon, Lise Aubut, Stéphane Venne, François Cousineau et d’autres, elle est montée au front au début des années 1980. C’est ce qui a donné lieu à la SPACQ.

L’éveil de l’auteure-compositrice est connu de plusieurs, mais il vaut la peine d’être rappelé : cela a eu lieu le jour où elle a réalisé que la chanson Je ne suis qu’une chanson, qui figure sur un disque vendu à 400 000 exemplaires, lui rapportait 2 cents par unité. « Ça m’a révoltée. Je ne suis pas une fille d’argent, mais je savais ce que voulait dire 2 cents. »

La chanteuse passionnée est alors devenue une combattante passionnée. « Je suis très fière de ce que nous avons accompli. Ce fut un mouvement très important pour notre chanson. On a fait changer des lois, on a amélioré le sort des créateurs. »

Il y a quelques années, Diane Juster s’est retirée du conseil d’administration de la SPACQ, laissant ainsi la place à une « équipe de jeunes », mais elle continue de poser un regard intéressé sur les luttes qui sont à mener alors que l’ère du numérique frappe de plein fouet l’industrie québécoise de la musique. « Je suis devenue une sorte de sage », dit-elle en riant.

Après des décennies de combat, Diane Juster refuse de baisser les bras.

« Il faut que les gouvernements s’adaptent si on veut faire bouger les GAFAM [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft]. Je sens que nous sommes en train d’avoir une ouverture de leur part. J’ai bon espoir que les choses vont bientôt bouger. »

— Diane Juster

Celle qui a connu des débuts fulgurants au début des années 1970 veut conscientiser les jeunes créateurs de la génération « autotoutte » aux dangers qui les guettent à l’aube d’une carrière. « Le droit d’auteur est partagé par plusieurs parties. Il y a l’auteur, le compositeur, l’interprète, l’éditeur et le producteur. Ce dernier en prend beaucoup », dit celle qui ne peut jouir totalement des droits de ses chansons.

Les droits d’édition de la chanson Ce matin, que plusieurs ont découverte samedi soir dernier, appartiennent à une éditrice dont l’inertie empêche l’œuvre de connaître de nouveaux souffles. « Je voudrais récupérer ces droits, mais elle refuse de me les donner, déplore Diane Juster. Quand on fait des chansons, il faut s’assurer de maintenir ses droits. »

Depuis plusieurs années, l’artiste consacre beaucoup d’énergie à la Fondation SPACQ, dont le mandat est de souligner le talent et d’honorer la mémoire des créateurs dans divers domaines. « Une reconnaissance, ça fait toujours du bien. Et un chèque aussi, grâce à nos généreux commanditaires. » Précisons que des bourses de 10 000 $ accompagnent ces prix.

En ces temps où les droits d’auteurs se font rares, cela se prend bien !

Gala de la Fondation SPACQ

Les prix de la Fondation SPACQ sont remis depuis 2006. Dix-huit prix ont été remis mardi soir au Cinéma Impérial en présence d’une foule d’invités.

• Prix Stéphane-Venne (Écrire pour l’autre) Offert par la SOCAN

Amélie Larocque

• Prix Eddy-Marnay (Effervescence) Offert par les Productions Feeling

King Melrose

• Prix Robert-Charlebois (Rayonnement international) Offert par Power Corporation

Hubert Lenoir

• Prix Luc-Plamondon (Parolière) Offert par ICI MUSIQUE

Klô Pelgag

• Prix Clémence-DesRochers (Excellence de l’imaginaire) Offert par Cinémaginaire

Émile Bilodeau

• Prix Gilles-Vigneault (Carrière en marche) Offert par la Banque Nationale

Dominique Fils-Aimée

• Prix François-Cousineau (Musique de chanson) Offert par Cogeco

France D’Amour

• Prix André-Dédé-Fortin (Jeunes carrières) Offert par Stringray

Ariane Roy

• Prix Sylvain-Lelièvre (Ensemble d’une carrière) Offert par FIERA Capital

Alexandre Belliard

• Prix Édith-Butler (Francophonie canadienne) Offert par Groupe Financier Peak

Martha Wainwright

• Prix André-Gagnon (Musique instrumentale) Offert par Québecor

René Lussier

• Prix Diane-Juster (Implication sociale) Offert par Sirius XM

Judi Richards

• Prix Lucille-Dumont (Interprète féminine) Offert par Industrielle Alliance

Isabelle Boulay

• Prix Michel-Louvain (Interprète masculin) Offert par Québecor

Mario Pelchat

• Prix Karim-Ouellet (Artiste ouvert sur le monde) Offert par la Fondation SPACQ

Dramatik

• Prix Beau-Dommage (Complicité créative) Offert par RNC Média

Les Salebarbes

• Prix Paul-Daraîche (Couleur country) Offert par Arsenal Média

Danny Boudreau

• Prix Richard-Grégoire (Musique sur image) Offert par Hydro-Québec

Julien Bilodeau

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