Hongrie

Michael Ignatieff engagé dans un combat contre le régime hongrois

Un projet de loi du gouvernement de Viktor Orbán menace la survie de l’Université d’Europe centrale à Budapest, un établissement phare dont l'ex-chef du Parti libéral du Canada est le recteur. Et si l’élection de Trump y était pour quelque chose ?

L’ancien chef libéral Michael Ignatieff livre une bataille qu’il qualifie de « farouche » pour la survie de l’Université d’Europe centrale à Budapest (CEU), établissement qu’il dirige depuis l’an dernier et qui est dans la ligne de mire du régime autoritaire de Viktor Orbán.

Au-delà de ce seul établissement, fondé en 1991 par le philanthrope américain d’origine hongroise George Soros, cet affrontement met en cause l’offensive générale du gouvernement Orbán contre les libertés civiles et universitaires en Hongrie. Il s’agit aussi d’un test pour les relations entre Budapest et la nouvelle administration de Donald Trump.

Le gouvernement de la Hongrie vient de présenter un projet de loi qui « rendrait nos opérations pratiquement impossibles », déplore Michael Ignatieff, qui exerce les fonctions de recteur à la CEU.

Techniquement, cette législation obligerait des universités étrangères établies en Hongrie à fermer leurs portes en l’absence d’un accord bilatéral avec leur pays d’origine – accord qui n’existe pas dans ce cas précis. L’Université d’Europe centrale serait aussi tenue d’ouvrir un campus aux États-Unis. Les autorités hongroises assurent qu’il ne s’agit pas d’une loi visant spécifiquement cette université privée. Sauf que dans les faits, celle-ci serait la seule à être touchée par ces nouvelles dispositions.

Pour Michael Ignatieff, il ne fait pas de doute que son université est directement ciblée par le régime Orbán.

« Ils inventent des prétextes, mais c’est notre liberté qu’ils n’aiment pas », tranche celui qui a dirigé le Parti libéral du Canada de 2008 à 2011.

À l’échelle internationale, il s’agit d’une inquiétante première. « C’est la première fois qu’un État membre de l’Union européenne essaie de fermer une institution libre au sein de l’Union. »

Une offensive contre les ONG internationales

La CEU accueille chaque année près de 1500 étudiants, dont 400 Hongrois, particulièrement dans le domaine des sciences humaines. C’est un établissement phare dans la capitale hongroise, qui possède la plus riche bibliothèque de sciences sociales de tout le pays. Grâce à un système de bourses, elle permet à de nombreux étudiants hongrois d’accéder gratuitement à une éducation supérieure de qualité internationale.

Parallèlement à cette offensive contre la CEU, le régime Orbán vient aussi de déclencher une campagne contre les ONG internationales présentes en Hongrie, auxquelles le régime veut imposer de nouvelles exigences de « transparence » – un peu comme l’a fait le président russe Vladimir Poutine.

Sur la ligne de front se trouvent une soixantaine d’ONG financées par le même George Soros, et vouées à la lutte contre la corruption et la discrimination. D’autres organisations internationales, comme Transparency International, seraient aussi visées par cette loi qui doit être débattue en avril.

« C’est une guerre déclarée contre toutes les organisations critiques à l’endroit du régime Orbán », dénonce Andras Gollner, politologue d’origine hongroise affilié à l’Université Concordia. Selon lui, ces organisations ne font rien de plus que « scruter les gestes du pouvoir, comme n’importe quelle organisation semblable au Canada ». Quant à l’Université d’Europe centrale, il s’agit, selon lui, « du dernier bastion de pensée libre en Hongrie ».

Le facteur Trump

Le politologue montréalais rappelle que le premier ministre hongrois a les ONG internationales et la CEU dans son collimateur depuis un bon moment. Mais selon lui, l’arrivée au pouvoir de Donald Trump l’a encouragé à passer à l’action.

C’est ici que l’histoire de l’université de George Soros prend toute son ampleur internationale. Il faut savoir que le milliardaire américain ne porte pas le nouveau président des États-Unis dans son cœur. Et que celui-ci le lui rend bien.

Donald Trump a déjà reproché à George Soros de poser « une menace à la sécurité nationale ». George Soros, lui, a décrit le président républicain comme un « apprenti dictateur voué à l’échec ».

La grande question que l’on se pose aujourd’hui sur le campus de la CEU, à Budapest, concerne la réaction de l’administration Trump à la menace qui pèse contre cette institution.

Pour Andras Gollner, il ne fait pas de doute que Donald Trump appuie le leader hongrois dans ce dossier. « Il y a une collusion entre Trump et Orbán », accuse-t-il.

Un porte-parole du gouvernement hongrois a déjà confié à l’AFP que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump « ouvrait une nouvelle ère », et que cette nouvelle ère se répercuterait sur « les pseudo-activités du secteur civil ».

Pourtant, hier, le sénateur américain Ben Cardin a publiquement appuyé l’université dirigée par Michael Ignatieff à Budapest.

« Les États-Unis sont très préoccupés par le projet de loi présenté par le gouvernement hongrois qui risque d’avoir un impact important sur l’Université d’Europe centrale à Budapest », affirme de son côté le chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis à Budapest, David Kostelancik, dans une déclaration publiée mercredi.

Ces manifestations d’appui donnent espoir à Michael Ignatieff, qui se sent engagé dans un combat contre « un régime dévoré par son appétit pour le pouvoir » au point de vouloir « étouffer toutes les institutions libres ».

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