Commission de vérité et réconciliation du Canada

Hantée par la honte

Il y a des jours où Élisabeth Ashini a honte d’être autochtone.

Pourtant, la femme de 74 ans est un exemple de succès. Mère de trois enfants, elle est devenue dans les années 60 la deuxième Innue du Québec à obtenir son diplôme d’infirmière, profession qu’elle a exercée jusqu’à sa retraite, il y a dix ans.

Mais la blessure laissée par ses sept années passées au pensionnat de Maliotenam, près de Sept-Îles, alors qu’elle était encore enfant, n’a jamais guéri.

« C’est terrible, ce qu’on a vécu. Je ne pourrai jamais dire que j’ai complètement oublié », confie la vieille femme, qui partage le sort de 150 000 enfants autochtones du Canada entre 1820 et 1996.

Mme Ashini fait partie de la dernière génération de son peuple à être née « dans le bois », pour reprendre ses mots. La famille était nomade et passait 11 mois sur 12 en forêt sur la Côte-Nord, ne retournant à Sept-Îles que l’été pour se ravitailler. « C’était une très belle vie. On avait beaucoup d’amour », se souvient la femme.

Lorsqu’elle a eu 9 ans, sa mère a décidé que la petite Élisabeth ne suivrait plus la famille. Elle devait aller à l’école. Durant deux ans, elle a fréquenté une école innue avec d’autres enfants de son peuple. Puis, en 1952, un pensionnat a ouvert ses portes à Maliotenam. Finie l’école dans sa langue et selon sa culture. Le gouvernement n’a pas donné le choix aux parents. Le pensionnat, c’était obligatoire.

« Ils sont allés chercher des enfants dans les bois. Ils les ont arrachés à leurs parents. Ils l’ont fait avec ma sœur. »

— Élisabeth Ashini

Il y avait 300 enfants à Maliotenam, 150 garçons et autant de filles. Lorsqu’ils arrivaient, on leur coupait les cheveux et on leur interdisait de parler leur langue maternelle. Élisabeth avait 11 ans.

« Ils nous surveillaient tout le temps. Si on ne parlait pas en français, c’était les coups de règle. Ou ils nous envoyaient à genoux dans un coin. » Les récidivistes étaient enfermés dans ce qu’elle décrit comme une « pièce noire semblable à une cellule ».

« On vivait dans la peur », dit-elle.

Et il y avait la violence. Physique contre certains, sexuelle contre d’autres. « J’ai été victime d’attouchements. J’ai été chanceuse. Il y en a d’autres qui ont connu pire. Des enfants battus et maltraités. »

CONFIANCE BRISÉE

Celui qui l’a agressée était le père responsable de la cordonnerie. « Il ramassait les enfants dans son local. C’est là que ça se passait. Je me suis enfuie. Si je l’avais aujourd’hui devant moi, je ne sais pas ce que je ferais », dit la vieille femme, encore choquée par les sévices dont sa génération et elle ont été victimes.

Mais ce qui l’a suivie le plus longtemps, ce qui la hante encore parfois, c’est la honte. La honte de qui elle est et d’où elle vient. La honte que lui ont inculquée les sœurs et les frères qui lui ont enseigné. « Ils nous disaient qu’on était sales, qu’on avait des poux. Qu’on ne valait rien. Ça te brise une confiance en toi. Je n’étais pas fière d’être innue. J’en avais honte. »

C’est à l’âge de 20 ans, pendant ses études pour devenir infirmière, qu’Élisabeth Ashini a commencé à relever lentement la tête. « J’ai vu que le fait d’être autochtone ne m’empêchait pas d’étudier et que les autres dans mes cours étaient heureux d’être à mes côtés. » Le fait de travailler auprès des membres de sa communauté durant une partie de sa carrière l’a aussi aidée à se sentir valorisée.

CONCLUSIONS VAINES

Pour elle, les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation déposées hier en grande pompe à Ottawa ne valent pas grand-chose. « Ce n’est pas ça qui va nous ramener ce qu’ils nous ont enlevé, dit-elle. Il y a de la violence dans nos communautés. De la drogue, de l’alcoolisme. Je crois que les pensionnats en sont en partie responsables. On n’a pas appris à être des parents parce qu’on ne voyait pas nos parents. Moi, j’ai eu beaucoup d’amour de ma famille avant d’être enlevée. Ce n’est pas tout le monde qui a eu ça. »

Pour la septuagénaire, il n’y a pas de réconciliation possible. « Je ne peux pas l’oublier. Ça ne veut pas dire qu’il faut vivre éternellement comme des victimes. »

La blessure est là, mais il faut avancer quand même, dit-elle.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.