Conversion de l'église Saint-Alphonse-d’Youville

Le chemin de croix d’un entrepreneur

Jean-François Brunet souhaite convertir l’église de son quartier en salle de concert et en espace de travail partagé. Il l’a acquise du Groupe immobilier Van Houtte pour la somme de 800 000 $ à la condition de pouvoir refaire la toiture en tôle. « Le cuivre est inabordable », dit-il. Problème : l’arrondissement Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension refuse. Du cuivre ou rien. Que faire ? Assouplir les règlements pour permettre un nouvel usage, ou laisser le lieu de culte se détériorer au point de devoir le raser ?

LE PROJET

Jean-François Brunet en rêve : transformer l’église Saint-Alphonse-d’Youville en salle de concert de 450 places, espace de travail partagé et café avec piano à queue et terrasse extérieure. Le bâtiment religieux qui longe l’autoroute Métropolitaine, à deux pas du métro Crémazie, a été acheté en 2010 par le Groupe immobilier Van Houtte. Depuis, il accumule la poussière. Bien sûr, on y donne deux messes par semaine, le jeudi et le dimanche. Mais l’argent manque tellement qu’on n’a pas les moyens de le restaurer. Pendant ce temps, le Groupe Van Houtte paye des dizaines de milliers de dollars par année : 30 000 $ en taxes, 80 000 $ en coûts d’électricité et de chauffage et 15 000 $ de frais d’assurances. Pour rien.

LES PARTENAIRES

Pierre-Luc Van Houtte, PDG du Groupe, et Jean-François Brunet, président de Brunet, Stratt & Gogh, stratégie immobilière, sont des partenaires d’affaires. Ils ont travaillé ensemble sur la mise en marché du Liguori, immeuble de 208 condos construit en 2011 sur les terrains de l’église. « J’ai tellement aimé le projet que j’ai acheté 10 appartements », dit M. Brunet, 38 ans, qui habite au Liguori avec sa conjointe. Son condo jouxte l’église Saint-Alphonse-d’Youville, qu’il voit de ses fenêtres et de son balcon. C’est devenu une quasi-obsession : lui refaire une beauté et la convertir en un lieu multifonctionnel fréquenté par les gens de Villeray. Et, pourquoi pas, de tout Montréal.

LA VOCATION

D’autres idées ont vu le jour dans le passé pour habiter cette très belle église construite en 1929. Un des projets consistait à en faire un espace de bureaux. Mais ça n’a pas fonctionné. Pas rentable. Selon Lyne Bernier, urbanologue spécialisée en patrimoine urbain, la plupart des projets de transformation d’églises lancés par des propriétaires privés durent un certain temps, mais ne garantissent pas la pérennité des bâtiments à long terme. Pourquoi ? C’est trop cher. « Les évaluations foncières sont trop élevées, explique-t-elle. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, par exemple, il n’y a pas une église évaluée en bas de 2-3 millions. Ça n’a pas de bon sens ! Il n’y a pas de marché pour les églises. L’évaluation est totalement aléatoire. »

LE CONCEPT

Il y a un an, M. Brunet a présenté son projet de transformation en salle de concert à Pierre-Luc Van Houtte, qui s’est montré enthousiaste. Mais le conseil d’administration du Groupe immobilier Van Houtte a dit non : pas question de faire de la gestion d’immeuble, ce n’est pas notre mandat. M. Van Houtte a alors suggéré à M. Brunet de trouver des partenaires et lui a assuré son appui. Le projet avance bien, du moins sur papier. Mais, en cours de route, le promoteur a constaté que la toiture de l’église était très abîmée et qu’il faudrait la changer avant longtemps. Coût de remplacement du toit en cuivre ? Entre 1,6 et 2 millions. « On n’a pas les moyens », dit-il.

LE PROBLÈME

L’offre d’achat déposée par M. Brunet auprès du Groupe Van Houtte est conditionnelle à ce que la toiture puisse être refaite en tôle plutôt qu’en cuivre. L’arrondissement refuse, mais M. Brunet persiste. Il a déposé une demande écrite et attend une réponse d’ici deux semaines. « On ne peut pas prendre le risque de laisser l’église se détériorer et, éventuellement, prendre feu, explique-t-il. Après, on va dire : “Yé ! On a sauvé la toiture en cuivre.” » La mairesse de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, Giuliana Fumagalli, comprend les enjeux et aime le projet de M. Brunet. « On ne peut pas négliger le développement économique, admet-elle. Mais on ne peut pas non plus négliger la question de la préservation du patrimoine. Villeray a une signature et il faut la préserver. Mais c’est clair qu’on va devoir se pencher sur les règlements. »

LA SOLUTION

« Il n’y en a pas, avoue Lyne Bernier. Ce bâtiment religieux ne peut plus être repris par des groupes communautaires à des fins non lucratives parce que le terrain a été démembré et densifié par de l’habitation privée. » Résultat : si l’arrondissement refuse de permettre l’utilisation de la tôle au lieu du cuivre, M. Van Houtte pourrait décider de cesser de payer les taxes. La Ville serait alors obligée de saisir le bâtiment et de s’en occuper. « Il faut que les arrondissements soient souples avec les églises, affirme Mme Bernier. Dans le cas de l’église Saint-Alphonse-d’Youville, c’est une perte directe pour Van Houtte qui n’est pas là pour faire la charité. »

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