Hockey

« Subban change tout ! »

Son coup de patin, sa personnalité, son rapport aux médias… P.K. Subban a laissé son empreinte au Québec. Mais a-t-il eu des effets plus profonds sur des milliers de jeunes hockeyeurs noirs à Montréal et ailleurs en province ? La Presse a posé la question à des membres de la communauté haïtienne : peut-on parler d’un « effet Subban » ? Il semble bien que oui.

Une fin de semaine de la fin avril, sur la Rive-Sud de Montréal, une équipe pas piquée des vers a soulevé un trophée. Les Princes de Montréal, âgés de 8 et 9 ans, venaient de gagner un tournoi de hockey de printemps à Saint-Constant. C’est passé inaperçu. Il n’y avait pas de quoi faire les manchettes.

Sauf que dans cette équipe, 8 des 13 joueurs étaient noirs. Ces petits Princes sont le reflet de ce que n’importe quel observateur qui fréquente un tant soit peu les arénas a remarqué dans les dernières années : le hockey québécois se métisse.

« C’est une réalité qui commence à apparaître à Montréal et dans les couronnes. On le voit, constate l’entraîneur des Princes, Éric Hoziel. Ce ne sont pas seulement des joueurs haïtiens, mais des jeunes de partout. »

Il n’existe évidemment pas de chiffres sur l’origine ethnique des joueurs de hockey mineur au Québec. Mais tous ceux à qui La Presse a parlé constatent que ce sport naguère réputé « plus blanc que blanc » est en train de changer, adopté par les Québécois de deuxième et troisième génération.

« Si tu te promènes à Montréal dans les arénas, tu vois des enfants de toutes les couleurs. Et tu vois beaucoup de Noirs, lance Patrice Édouard, dont le fils Zakary fait partie des Princes. Dans des équipes parfois, le meilleur joueur est noir. Au Tournoi Brick l’an dernier, en première année atome, ce sont deux joueurs noirs qui ont représenté Montréal, un Jamaïcain et un Haïtien. On ne voyait pas ça avant. »

Patrice Édouard, 42 ans, illustre bien ce visage changeant du hockey. Ses parents ont quitté Haïti pour le Québec dans les années 70. Enfant, il n’a jamais joué au hockey organisé.

Mais quand son fils Zak a eu l’âge de patiner, Édouard a décidé de l’inscrire. « Je voulais donner la piqûre à mon fils. Et là, c’est une passion. Il adore le hockey. »

Ce père de famille pense que deux raisons expliquent la popularité croissante du sport chez les membres de la communauté haïtienne. La première est d’ordre économique.

« La première génération arrivée ici n’avait pas nécessairement le temps et l’argent à investir dans ce sport-là. Ça coûte cher en temps et en argent. Mais la deuxième génération a un peu plus de temps, des emplois un peu plus confortables et les parents sont prêts à embarquer dans le hockey avec leurs enfants », explique Patrice Édouard.

Et l’autre raison ? « Et pis y’a P.K. ! On ne va pas se le cacher. On voit des numéros 76 un peu partout. Y’a des gens à Montréal qui sont rendus des fans des Predators, dit-il. Mon fils adore P.K. Il aime Patrick Kane aussi. Mais P.K., c’est spécial. Il a un chandail de Nashville d’ailleurs ! »

L’effet Subban

Par les temps qui courent, Kevin Raphaël suit les séries attentivement. Cet humoriste de 25 ans est connu sur Facebook, où ses vidéos sur le hockey – notamment des matchs commentés avec l’accent haïtien – cartonnent. Le but de Radulov « une main sur le bâton, une main dans le bol de griot », c’est lui.

« Mon but dans mes vidéos, c’est de réunir les cultures québécoise et créole. Oui, j’ai l’accent haïtien, mais c’est en même temps très québécois, note-t-il avec justesse. Le but, c’est de se réunir autour de notre passion commune pour le hockey. »

Raphaël a commencé à jouer au hockey sur le tard, à 13 ans. « Ça a pris du temps avant que mes parents puissent se permettre de m’inscrire. J’ai joué six ans et ç’a été le time of my life. »

Quand il était ado, un joueur est arrivé chez le Bleu-blanc-rouge. Soudain, ce hockey qu’il aimait tant, Raphaël s’est mis à l’aimer encore plus.

« Subban change tout. L’impact de P.K. Subban, c’est le même impact que celui de Georges St-Pierre. St-Pierre, c’est un gars d’un petit village, de Saint-Isidore, qui a décidé de suivre un rêve dans un monde où il n’y avait presque pas de Québécois », illustre l’humoriste.

« P.K. Subban, c’est la même chose. Moi, la première fois que j’ai vu P.K. Subban, je voulais être P.K. Subban. Et j’étais un ado. Alors je ne peux même pas imaginer à quel point un jeune de 7, 8, 9 ans admire Subban. »

Au printemps 2010, quand Subban a joué ses premières séries à Montréal, les jeunes des Princes étaient encore aux couches. Cette génération a grandi avec Subban. Pour la première fois chez le Canadien, un joueur noir était l’étoile de l’équipe. Ils n’étaient plus seuls.

Il se faisait montrer du doigt

Quand il a grandi dans les années 70, Claude Vilgrain n’avait pas de modèle comme Subban. Cet ancien de la LNH, d’origine haïtienne, était même le seul joueur noir de Charlesbourg, à Québec, à part son frère. La première fois qu’il a vu un autre joueur noir sur une patinoire, c’était au camp d’entraînement des Voisins de Laval, dans le junior. « Je me souviens que ça m’avait fait drôle », raconte-t-il.

Vilgrain a subi son lot d’incidents racistes, qu’il attribue surtout à l’ignorance de l’époque. Il s’est déjà fait appeler « noiraud ».

« Ça m’arrivait souvent, quand je montais sur la glace, de me faire montrer du doigt. Les gens disaient : “Regarde, y’a un petit Noir dans leur équipe.” Pour eux, c’était quelque chose de bizarre, raconte-t-il. Ce n’était pas tout le temps pour blesser. Des fois, des grand-mères venaient me voir après le tournoi et me disaient : “Bonjour, beau petit garçon !” »

Vilgrain est encore très impliqué dans le hockey mineur. Même s’il ne va pas jusqu’à dire que l’ignorance et le racisme sont choses du passé, il remarque une bonne différence par rapport à sa jeunesse.

« On voit beaucoup plus de joueurs noirs qu’avant, beaucoup plus, dit-il. Est-ce que Subban a pu avoir un effet ? Certainement. C’est seulement à la fin de ma carrière que j’ai compris à quel point j’avais marqué des jeunes. Jarome Iginla a déjà dit que j’avais été un modèle pour lui, se souvient Claude Vilgrain. Et P.K. a beaucoup plus de visibilité que j’en avais, alors c’est certain qu’il va avoir un gros impact. »

Un échange qui change tout ?

Georges Laraque remarque aussi que la diversité a fait son entrée au hockey. Mais l’ancien attaquant du Canadien pense que les progrès se font à pas de tortue.

« Ça va prendre du temps. Il n’y a pas assez de Noirs dans le hockey mineur. Dans mon temps, il y avait un joueur noir par ligue ; aujourd’hui, il y en a un par équipe, remarque-t-il. Oui, ça s’est amélioré. Mais ça reste quand même peu. »

« Statistiquement, il y a tellement peu de jeunes qui percent dans la LNH que le nombre de joueurs québécois noirs chez les pros va rester minime. »

— Georges Laraque

Laraque est certain qu’il y a eu un « effet Subban » chez les jeunes Québécois issus des minorités. Mais il apporte des nuances. Selon lui, l’échange du défenseur a pu envoyer un mauvais message à ces jeunes.

« Pourquoi P.K. est parti ? Parce qu’il est flamboyant, il est différent, il s’exprime. Mais dans la culture haïtienne, on est comme ça. On s’exprime, on est flamboyant, on a de l’énergie, on est hyperactif, relate Laraque. Alors ça envoie un drôle de message. Les jeunes vont se dire : est-ce que je peux être moi-même dans le hockey ? »

Il pense qu’encore aujourd’hui, le hockey « reste un sport très blanc ».

Peut-être. Mais les choses changent tout de même. Ces jeunes Noirs des Princes qui ont soulevé un trophée fin avril ont joué dans une équipe où ils formaient la majorité. Ç’aurait été impensable encore il y a 20 ans.

Éric Hoziel, l’entraîneur de l’équipe, n’avait même pas compté le nombre de joueurs noirs chez les Princes. Celui qui jouait Templeton dans Lance et compte explique qu’il n’y voyait que 13 joueurs de hockey, tout simplement.

« Je ne suis pas né au Canada, je suis d’origine marocaine, alors je ne relève pas ça. J’avais 6 ans quand je suis arrivé ici et je me suis intégré par le sport, dit Hoziel. Mais c’est cool, cette équipe et c’est cool, ce qui est en train de se passer. Oui, c’est cool. Et c’est le fun de le relever. »

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