Lutte aux changements climatiques

Le Québec fait du surplace

Loin de diminuer, les émissions de gaz à effet de serre sont même en légère augmentation au Québec, selon le dernier inventaire publié hier par le gouvernement provincial. Experts et écologistes ont dénoncé « l’inaction » de Québec dans la lutte contre les changements climatiques, en plus de déplorer qu’il faille attendre 2017 pour obtenir les statistiques… de 2014. Explications.

Un effort qui plafonne

Les Québécois ont rejeté collectivement l’équivalent de 82,1 mégatonnes de CO2 dans l’atmosphère en 2014, soit très légèrement plus qu’en 2013. L’inventaire dévoilé hier montre que la lutte aux émissions plafonne depuis 2010, avec une diminution des émissions d’à peine 2 %.

Émissions du Québec

(en mégatonnes équivalent CO2)

2010 : 83,83

2011 : 84,30

2012 : 82,11

2013 : 81,93

2014 : 82,08

Cibles « hors d’atteinte »

On peut se réjouir de cette stagnation en disant que les émissions de gaz à effet de serre (GES) n’augmentent pas au Québec malgré la population et l’économie qui grossissent. Le hic, c’est que le gouvernement du Québec a fixé d’ambitieuses cibles pour les GES, dont une réduction de 20 % sous les niveaux de 1990 dès 2020. Or, le rythme actuel n’est manifestement pas suffisant pour les atteindre.

Ils ont dit...

« La tendance des trois dernières années est très inquiétante. Alors que le rythme des réductions devrait s’accélérer, le Québec fait du surplace et risque de rater ses cibles à l’interne pour 2020 et 2030. »

— Karel Mayrand, directeur de la Fondation David Suzuki pour le Québec et l’Atlantique et membre du comité-conseil du gouvernement du Québec sur les changements climatiques

« Le Québec est encore à l’étape des beaux discours et des prétentions vertes, alors qu’en réalité, on voit aujourd’hui le fruit de nombreuses années de mollesse, d’inaction et de ratés majeures dans la gestion du Fonds vert. »

— Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace Canada

Cible de Québec

(par rapport aux émissions de 1990)

2020 : -20 %

2030 : -37,5 %

Niveau en 2014 : -8 %

Le fédéral avait raison

Il y a près d’un an, en avril dernier, le gouvernement fédéral avait déjà évalué les émissions de GES du Québec à 82,7 mégatonnes pour 2014. Le ministre David Heurtel avait alors mis en cause ces chiffres. Il avait affirmé que l’inventaire québécois est plus précis, car il est élaboré à partir de données recueillies directement auprès des entreprises, notamment. Onze mois après cette controverse, le chiffre provincial qui vient d’être publié (82,1 mégatonnes) ne change pas significativement le portrait par rapport à celui du fédéral.

« Si les cibles d’émission de GES sont des objectifs tangibles, il ne faut pas oublier que d’autres bénéfices, dont on ne parle pas suffisamment, découlent de la lutte contre les changements climatiques. »

— Le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, David Heurtel, n’était pas disponible hier pour répondre à nos questions. Dans un communiqué de presse, il a incité à ne pas mettre l’accent seulement sur l’atteinte des cibles de réduction.

Inventaire « décalé »

Alors que Québec s’est fixé une cible ambitieuse pour 2020, le fait que le gouvernement vienne de publier des données qui datent de 2014 agace nombre d’experts et d’observateurs.

« Il est très, très difficile d’évaluer l’effet des mesures prises avec des données aussi anciennes », dit Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et ancien coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec. À défaut de dévoiler un inventaire complet, M. Mousseau souhaiterait que le gouvernement du Québec publie au moins certaines données sectorielles afin de voir si les efforts vers les cibles de réduction vont dans la bonne direction.

« Ça démontre le manque de sérieux et de rigueur avec lequel le gouvernement du Québec gère la question des changements climatiques, renchérit Patrick Bonin, de Greenpeace. Il est complètement inacceptable de publier des inventaires aussi décalés. »

Les deux intervenants incitent aussi le gouvernement à publier des projections d’émission basées sur des scénarios plutôt que de seulement documenter le passé.

La fin des grandes avancées

Normand Mousseau note que les derniers grands efforts de réduction du Québec datent tous des années 2000. Le fait que le Québec émette moins de GES aujourd’hui qu’en 1990 s’explique en effet par trois grands facteurs.

1. Les industries ont changé leurs procédés ou ont fermé leurs portes.

2. Le chauffage électrique a remplacé celui au mazout dans de nombreuses résidences.

3. Les sites d’enfouissement ont commencé à capter les gaz produits par la décomposition des déchets pour les incinérer ou les transformer en énergie.

Ensemble, ces trois avancées ont retiré plus de 12 mégatonnes de CO2 du bilan annuel québécois.

« Depuis 2010, il ne se passe plus rien dans le secteur des déchets ni dans le secteur industriel, et c’est encore zéro dans les transports et en agriculture. C’est donc dire qu’on ne fait plus de progrès significatifs nulle part et c’est extrêmement problématique », dit M. Mousseau.

41 %

C’est la proportion des émissions émises par les transports au Québec, un secteur qui a explosé avec une augmentation de plus de 20 % depuis 1990.

Marché du carbone

Le gouvernement du Québec mise notamment sur le marché du carbone pour réduire les émissions de GES. Le mois dernier, une mise aux enchères a été boudée par les entreprises, alors qu’à peine 18 % des droits d’émission ont trouvé preneur. Simple ralentissement temporaire ou signe que les entreprises ne croient plus au système ? Les experts ne s’entendent pas. Dans tous les cas, Patrick Bonin, de Greenpeace, rappelle que le marché du carbone est un outil d’échange et de plafonnement des émissions, mais que c'est loin d'être suffisant.

« Le gouvernement se cache derrière le système de plafonnement et d’échanges. C’est un morceau important de la lutte, mais il faut une panoplie de mesures supplémentaires, comme des investissements dans le transport en commun et la lutte contre l’étalement urbain » dit-il à La Presse.

17,84 $

La tonne de carbone s’échange actuellement à son prix plancher, 17,84 $, sur le marché auquel participent le Québec et la Californie. L’an dernier, le gouvernement fédéral a évalué les coûts sociaux des GES à plus de 40 $ la tonne.

+ 0,55 %

Y aurait-il là une piste de solution ? Pendant que les émissions du secteur résidentiel ont baissé de 46 % au Québec entre 1990 et 2014, surtout grâce à l’électrification du chauffage, celles des secteurs commerciaux et institutionnels ont fait du surplace, avec une augmentation de 0,55 %.

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