Chronique

Je vois (rouge) mtl

Question quiz : combien faut-il de temps, à Montréal, pour installer un feu de circulation ?

Tic, tac, tic, tac, tic…

Vous dites ? Trois mois ? Non, vous n’y êtes pas du tout. De 6 à 12 mois ? Eh bien, non, c’est beaucoup plus long que ça.

Je vous le donne en mille : entre trois et cinq ans.

Un citoyen inquiet de l’augmentation du nombre de voitures sur Rachel, dans le quartier des Shops Angus, et qui réclamait un feu de circulation, s’est fait répondre récemment par les fonctionnaires de la Ville qu’il devra vraisemblablement attendre 10 ans avant que sa demande ne soit étudiée. Tenace, le citoyen est allé poser des questions au conseil municipal, où le maire Denis Coderre lui a suggéré… de l’appeler directement pour accélérer les choses !

Je ne sais pas ce qui est le plus ridicule : 10 ans pour étudier une demande de feu de circulation ou le maire de la deuxième ville en importance du pays qui propose de prendre les appels personnellement pour régler de tels dossiers ? L’implication du maire est admirable, sa sollicitude envers ce citoyen démuni aussi, mais franchement, le premier magistrat d’une ville de 2 millions d’habitants peut-il faire à ce point dans la micro-micro-gestion ?

Apparemment, oui, aussi absurde que cela puisse paraître. Vendredi dernier, le maire Coderre a eu un échange surréaliste sur Twitter avec le maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, François Croteau, au sujet de l’installation (avortée) d’une guirlande sur le boulevard Saint-Laurent. L’objet du litige entre les deux maires ? Mais qui est donc responsable de l’installation et du branchement de ladite guirlande ? Dossier crucial, s’il en est un.

Encore là, l’engagement du maire Coderre et la rapidité avec laquelle il a réglé l’affaire est louable, mais le maire de Montréal doit-il vraiment s’occuper du branchement des guirlandes ?

C’est mon collègue François Cardinal qui a sorti cette histoire grotesque de guirlande dans sa chronique de vendredi, chronique au titre évocateur de « Quand la Ville nuit à la ville... ».

Le pire ennemi de Montréal, en effet, c’est trop souvent… Montréal, une pieuvre administrative dont les tentacules sont entremêlés sur une structure politique et décisionnelle déficiente qui pousse, comme un jeu de domino malsain, le principe de déresponsabilisation d’un palier à l’autre.

Des histoires de guirlandes mal pendues, ça court les rues dans cette ville. Et les répercussions sont parfois beaucoup plus graves que de priver une grande artère d’un élément festif.

Prenez le boulevard Saint-Joseph, par exemple, cette artère est-ouest principale entre Rosemont et Outremont, qui provoque tous les jours des infarctus urbains à cause de ses bouchons de circulation. Appréciez l’ironie : les arrondissements de Rosemont et du Plateau-Mont-Royal ont voulu devenir plus verts en limitant, à coups de règlements et de sens uniques, la circulation automobile dans leurs rues, mais se retrouvent maintenant avec des bouchons quotidiens qui exhalent des tonnes de gaz à effet de serre. Contre-productif est le premier mot qui me vient en tête.

Je ne suis pas le seul à le penser. J’ai trouvé récemment un allié tout à fait inattendu dans ma quête de solutions pour Saint-Joseph : le maire du Plateau lui-même, Luc Ferrandez.

Le nouveau chef de l’opposition à l’hôtel de ville a commencé par me dire que je devais me mettre plus sérieusement aux transports en commun (figure obligée), avant de concéder qu’il connaît les problèmes de Saint-Joseph, qu’il a des remèdes, mais que son arrondissement est impuissant.

Il suffirait, me disait-il, de permettre un virage vers le nord sur Papineau (sous feu clignotant prioritaire) et quelques virages vers le sud entre Saint-Laurent et Papineau pour accéder, notamment, à l’avenue du Mont-Royal. Voilà, c’est tout simple.

Eh bien ! Non, il n’y a jamais rien de simple à Montréal. Voyez-vous, les arrondissements peuvent décider du sens des rues, mais pas des artères. Et comme la Ville a transformé 60 % des rues du Plateau en artères, le maire Ferrandez se retrouve dans la même situation que vous et moi : il constate les dégâts, mais ne peut rien y faire, même s’il connaît les solutions.

L’arrondissement fait des demandes, qui traînent pendant des années, puis, un jour, finalement, les fonctionnaires font des simulations sur ordinateur. Du genre : un camion de pompier roule vers l’ouest sur Saint-Joseph et doit tourner vers le sud lorsqu’il croise, au même moment, un autre camion de pompier, qui se dirige vers l’est et doit tourner vers le nord. Enfer et damnation ! Y’a pas la « clearance », conclut le logiciel, les deux camions vont se percuter ! Alors, c’est NON, point.

« Je veux bien qu’on chiale contre le Plateau, mais ça, c’est pas nous, c’est la ville centre, qui est incompétente en circulation ! lance Luc Ferrandez. Quelles sont les probabilités que deux camions de pompier se foncent dessus ? »

Autre exemple de solution simple : le Plateau a demandé il y a des mois à la Société de transport de Montréal de permettre le covoiturage sur la voie réservée sur Saint-Joseph. « La demande est bloquée », se désole M. Ferrandez.

Tout ça pour vous dire qu’aujourd’hui, à la Place des Arts, l’initiative « je vois mtl » (jevoismtl.com) dévoile 200 mémoires préparés par des citoyens pour rendre Montréal plus fonctionnel, plus agréable, plus « vivable ».

Plus cohérent ? Souhaitons-le. Chose certaine, on n’aura jamais trop de bonnes idées citoyennes pour relancer cette ville coincée dans son incurie politique et administrative.

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