Alexandre Taillefer, président du PLQ et... péquiste

« La politique, c’est un sport extrême et j’y goûte aujourd’hui »

L’entrée en scène de l’homme d’affaires Alexandre Taillefer à titre de président de la campagne électorale du Parti libéral du Québec a suscité hier bien des critiques et soulevé des questions sur sa véritable allégeance politique.

En fin d’après-midi, le Parti québécois a fait savoir qu’Alexandre Taillefer est membre de la formation souverainiste et détient une carte de membre valide jusqu’en 2020. La CAQ a quant à elle confirmé que l’homme d’affaires avait été membre du parti en 2014-2015 et qu’il avait versé des contributions financières. Ces révélations ont enflammé les médias sociaux.

« La politique, c’est un sport extrême et j’y goûte aujourd’hui », a constaté M. Taillefer sans dissimuler un certain plaisir d’avoir ainsi mis le pied dans la joute politique.

Il a toutefois nié avoir été membre de la CAQ et a affirmé que s’il est membre du Parti québécois, c’est à son insu. En fait, il a reconnu avoir été membre en bonne et due forme du PQ en 2005 sans jamais avoir milité ; il n’est pas indépendantiste.

« Je suis étonné. J’ai fait un don à Jean-François Lisée pour sa campagne au leadership. Est-ce que ce don s’est transformé en carte de membre ? C’est peut-être le même formulaire. Si je suis membre, c’est malgré moi », a-t-il commenté.

Pour Alexandre Taillefer, il n’y a aucun embarras dans ces révélations, ni pour lui ni pour le Parti libéral. Il se défend de manger à tous les râteliers. La situation découle d’abord et avant tout, croit-il, du fait qu’il a toujours soutenu financièrement les personnes qui osent se lancer dans la mêlée politique. Il faut encourager l’engagement citoyen, a-t-il répété hier, tout en soulignant qu’il s’est lui-même décrit comme un « queer politique » par le passé, ce qu’il maintient toujours.

« UN ÉLECTRON LIBRE »

Connu notamment pour ses positions favorables à la mobilité, à la hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure et à la réforme du scrutin avec l’introduction d’un élément de proportionnelle, M. Taillefer dit vouloir faire avancer ses idées et en débattre en vue de préparer la plate-forme électorale. Il salue d’ailleurs Philippe Couillard, qui prend ainsi un risque en nommant « un électron libre », comme il se désigne lui-même.

« On n’est pas dans un parti monothéiste et unidirectionnel. Je n’adhère pas à une religion non plus. […] Le premier ministre et moi, on n’est pas nécessairement sur la même longueur d’onde par rapport à ça. Mais M. Couillard ne m’empêchera pas d’exprimer mes opinions », a dit Alexandre Taillefer, qui a confirmé la nouvelle d’abord publiée dans La Presse la veille.

Quant aux nombreuses compressions dans les secteurs de la santé et de l’éducation faites par le gouvernement libéral au début du mandat, M. Taillefer ne veut pas s’y attarder ni les excuser. Il insiste pour dire qu’il veut participer « à l’avenir de ce parti-là ». 

« Je veux être en mesure d’aider à repositionner le Parti libéral comme le parti progressiste qu’il a déjà davantage été. Je pense que cette tangente-là est déjà bien amorcée au Parti libéral. »

— Alexandre Taillefer

Puis, avec un sourire en coin, il a souligné qu’il suffirait qu’il y ait quatre hausses de 75 cents en quatre ans pour que le salaire minimum atteigne 15 $ l’heure. « Je vous en ai trop dit », a-t-il laissé tomber.

SYMBOLE DU RENOUVEAU

Quelques heures plus tôt, sur la colline Parlementaire, Philippe Couillard était visiblement heureux d’accueillir dans ses rangs quelqu’un qui personnifie, selon lui, un certain renouveau au Québec. « J’adore le fait que nous avons des opinions diverses dans notre groupe. D’ailleurs, un leader fort s’entoure de gens forts », a-t-il commenté.

La dernière tentative du PLQ pour renouer avec ses racines progressistes en vue des élections remonte à 2002. Le chef d’alors, Jean Charest, avait fait appel à un de ses prédécesseurs, Claude Ryan, pour rappeler l’apport du PLQ dans l’édification du Québec, notamment sur le plan social. M. Ryan avait ainsi signé Les valeurs libérales et le Québec moderne, que M. Charest avait brandi tout le long de la campagne électorale de 2003.

M. Ryan y écrivait qu’« il ne suffit pas de se réclamer de l’esprit libéral. La personne qui œuvre dans la politique doit chercher à déployer cet esprit au service de valeurs capables de faire avancer les libertés individuelles et le bien général de la société ». Ce petit livre se voulait également un avertissement face à la montée dans les intentions de vote de l’Action démocratique du Québec (l’ancêtre de la CAQ).

MM. Couillard et Taillefer ont prévu tenir une conférence de presse la semaine prochaine pour expliquer le rôle exact du président de la campagne électorale. En 2014, cette responsabilité était entre les mains de l’ancien premier ministre Daniel Johnson.

CONFLIT D’INTÉRÊTS ?

Quant à un conflit d’intérêts réel ou potentiel parce qu’il est inscrit au Registre des lobbyistes et qu’il est propriétaire de médias d’information (L’actualité et Voir), Alexandre Taillefer rejette tout d’un bloc. « Je n’ai jamais pris le téléphone pour avoir quelque influence et la réputation des journalistes de L’actualité n’est plus à faire », a-t-il tranché en mentionnant qu’il ne brigue pas les suffrages.

« Le rôle du Registre des lobbyistes, c’est de déclarer les intérêts des entreprises, et ce que je peux voir aujourd’hui avec l’acharnement que vous avez à me poser ces questions-là, c’est que je serai scruté à la loupe », a affirmé M. Taillefer. 

« Il va falloir que je montre patte blanche absolue. Je pense que j’arrive avec un bagage en termes d’intégrité et de réputation et je vais maintenir ça. »

— Alexandre Taillefer

Le chef libéral a indiqué que rien, dans le travail bénévole et temporaire d’un président de campagne électorale, ne nécessite qu’il se départe de ses intérêts. Le leader du gouvernement, Jean-Marc Fournier, a renchéri : « Les gens qui deviennent membres du Parti libéral du Québec, je ne pense pas qu’ils mettent leurs fonds dans une fiducie sans droit de regard. »

Or, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Moreau, a exprimé le souhait que M. Taillefer, comme propriétaire de presse, prenne « les mesures que tous ceux qui s’engagent en politique doivent prendre, c’est-à-dire être prudent et transparent, s’assurer qu’il n’y a pas de situation de conflit ou des situations apparentes de conflit d’intérêts ».

La situation d’Alexandre Taillefer, dont l’entreprise est notamment propriétaire du journal culturel Voir et du magazine d’affaires publiques L’actualité, rappelle pour certains députés de l’opposition l’arrivée en politique active de Pierre Karl Péladeau, ancien chef péquiste et aujourd’hui président de Québecor, notamment propriétaire du Journal de Montréal et de TVA.

« Il est président de la campagne [électorale du PLQ], la question se pose : va-t-il utiliser ses médias, dont L’actualité, pour faire la promotion du Parti libéral du Québec ? », s’est ouvertement questionnée la caquiste Nathalie Roy.

Du côté de Québec solidaire, on s’est surtout attardé à la combinaison des positions progressistes de M. Taillefer et de son engagement comme président de campagne électorale.

« On ne peut pas être progressiste et faire campagne pour un des partis qui a le plus défait le filet social dans les dernières années », a réagi Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire.

La députée péquiste Agnès Maltais a, quant à elle, demandé aux libéraux d’expliquer comment ils réagiront « aux demandes actuelles de M. Taillefer, qui est lobbyiste pour ses deux compagnies, Taxelco et XPND Capital, [alors qu’il est] leur président de campagne électorale ».

— Avec Martin Croteau, La Presse

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