Rémunération des dirigeants d'entreprise

Salaires élevés et grogne populaire

En pleine saison des assemblées des actionnaires, c’est le moment de mettre à jour l’état de la rémunération des hauts dirigeants des principales entreprises de Québec inc. en Bourse.

Et dans la foulée de la controverse chez Bombardier, où la rémunération des hauts dirigeants a bondi de 48 % après que l’entreprise en détresse a sollicité et obtenu près de 2 milliards en fonds publics, il s’agit d’un sujet brûlant d’actualité comme rarement auparavant.

« C’était du jamais-vu dans le milieu d’affaires au Canada. La controverse suscitée chez Bombardier a mené à des manifestations devant son siège social à Montréal », rappelle Daniel Thouin, président du conseil au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC). Ce regroupement d’actionnaires-activistes établi à Montréal est devenu l’un des plus connus sur le circuit des assemblées d’actionnaires au Canada.

Cette semaine seulement, le MEDAC sera représenté dans au moins cinq des assemblées d’actionnaires d’entreprises d’importance de Québec inc. en Bourse. Il y sera surtout pour promouvoir des propositions soumises au vote des actionnaires sur divers sujets de gouvernance d’entreprise, mais dont le plus suivi s’avère souvent la politique de rémunération des dirigeants.

« Au Québec comme ailleurs en Amérique du Nord et même en Europe, un nombre croissant de gros investisseurs [institutionnels] et d’actionnaires des entreprises sont conscients qu’ils doivent faire quelque chose pour mieux contrôler les politiques de rémunération des dirigeants », constate Daniel Thouin.

La responsabilité du Conseil d’administration

Les nombreuses assemblées qui ont lieu ces semaines-ci au Québec et au Canada, dont celle de Bombardier jeudi à Dorval, sont une rare occasion pour les actionnaires de faire valoir leurs doléances au sujet de la rémunération des dirigeants de l’entreprise dans laquelle ils ont investi. En particulier lors du vote consultatif sur la politique de rémunération des dirigeants qui a été instauré par la plupart des entreprises à capital ouvert en Bourse.

Mais de l’avis d’analystes en gouvernance d’entreprise, c’est aussi envers les membres des conseils d’administration de ces entreprises que les actionnaires mécontents doivent accentuer leurs critiques et leurs revendications.

« L’établissement de la rémunération des dirigeants est, légalement, la responsabilité du conseil d’administration d’une entreprise », souligne Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP). « Il ne fait pas de doute que tout conseil d’administration doit maintenir et renforcer la réputation de l’entreprise auprès des publics critiques pour son succès et sa survie. Les conseils doivent – c’est la loi – agir dans l’intérêt à long terme de l’entreprise. Ils doivent se préoccuper de l’impact des montants payés à leurs dirigeants sur la légitimité sociale de leur entreprise… ainsi que sur leur légitimité et crédibilité comme “gouverneurs” d’une société cotée en Bourse. »

« Si les conseils d’administration continuent de perdre leur légitimité en matière de rémunération, il faudra s’interroger sur le modèle de gouvernance qui prévaut dans les sociétés publiques [cotées en Bourse] et proposer des modes de gouvernance radicalement différents. Ça pourrait mener à des interventions des autorités gouvernementales. »

— Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP)

Entre-temps, estime le président du conseil de l’IGOPP, « pour les actionnaires de ces entreprises, la meilleure solution au problème des rémunérations inacceptables et indéfendables serait de voter contre les candidats aux postes d’administrateur. Et en particulier les administrateurs qui sont membres du comité du conseil dédié aux ressources humaines et à la rémunération ».

Pour Daniel Thouin, du MEDAC, « il faut maintenant que les conseils d’administration mettent leurs culottes en matière de politique de rémunération des dirigeants. Entre autres, qu’ils cessent de se fier à des consultants externes qui appliquent les mêmes normes de comparaison d’une entreprise à l’autre, contribuant ainsi à la hausse exagérée des rémunérations ».

En attendant, indique M. Thouin, « ce que des intervenants comme nous au MEDAC disent aux administrateurs des entreprises, c’est que la grogne populaire contre les rémunérations excessives des dirigeants devient de plus en plus forte ».

« Aussi, poursuit-il, ça peut mener à un impact négatif considérable sur la réputation d’une entreprise dans l’opinion publique et parmi ses autres parties prenantes en affaires : ses employés, ses clients, ses fournisseurs, ses financiers. »

À l’École de gestion Molson de l’Université Concordia, le professeur Michel Magnan, qui est associé à la Chaire de gouvernance Jarislowsky, constate aussi un risque croissant d’impact négatif sur la culture d’affaires d’une entreprise au fur et à mesure que s’élève la rémunération des hauts dirigeants.

« De plus en plus d’études et d’analyses en gouvernance d’entreprise montrent que l’écart grandissant entre la rémunération des hauts dirigeants, en particulier le président, avec celle des autres employés peut susciter de la démotivation dans toute l’entreprise. En conséquence, c’est la performance même de l’entreprise qui risque d’en être affectée », avertit Michel Magnan.

LES CINQ PRÉSIDENTS LES MIEUX RÉMUNÉRÉS

(entreprise à siège social au Québec, plus de 1 milliard en valeur boursière)

Joseph C. Papa, président du conseil et chef de la direction, Valeant Pharmaceuticals (depuis mai 2016) : 62,7 millions US 

Michael Roach, président et chef de la direction (sortant), CGI : 11,8 millions 

Serge Godin, président exécutif du conseil, CGI : 11,8 millions 

Pierre Dion, président et chef de la direction, Québecor : 11,3 millions 

Alain Bédard, président et chef de la direction, TFI International (TransForce) : 11,3 millions

Sources : circulaires de direction des entreprises

LES CINQ HAUTES DIRECTIONS LES MIEUX RÉMUNÉRÉES

(entreprise à siège social au Québec, plus de 1 milliard en valeur boursière)

Valeant Pharmaceuticals : 130,1 millions US parmi 9 hauts dirigeants (transition) 

Canadien National : 41,4 millions parmi 6 hauts dirigeants (transition de président)

Bombardier : 31,2 millions US parmi 6 hauts dirigeants

CGI : 30,9 millions parmi 5 hauts dirigeants 

Banque Nationale : 26,7 millions parmi 5 hauts dirigeants

Sources : circulaires de direction des entreprises

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