Opinion  Agriculture

Qui nous nourrira ?

Les gens qui applaudiraient l’interdiction des pesticides seraient-ils prêts à payer plus pour des légumes produits sans l’aide de ces produits ?

À la suite de la diffusion d’une vidéo annonçant un avenir incertain pour l’utilisation de l’herbicide phare de la société Monsanto, le Roundup (glyphosate), un certain malaise m’habitait.

Une partie de moi ne pouvait que se réjouir de voir que ce produit classé comme « cancérigène probable » et banni par l’Union européenne ne sera plus appliqué partout, comme c’est le cas présentement, particulièrement dans les grandes cultures OGM. Par contre, l’agricultrice en moi ne pouvait que compatir avec le drame que cette nouvelle pourrait représenter pour une grande majorité de producteurs agricoles.

Le Roundup est un outil très efficace pour contrôler les mauvaises herbes à faible coût. Si j’insiste sur le coût, c’est que notre ferme est en transition vers le mode de culture biologique. Le glyphosate est donc un outil dont on ne se servira plus. Et ce printemps, nous affrontons une quantité impressionnante de mauvaises herbes très envahissantes (chiendent, pissenlit, oseille, trèfle…).

On a relevé nos manches, sorti nos fourches, chaudières, pelles, bâches, paillis, et on y a mis des heures. Et de la sueur. Et des heures. Et de l’huile de coude. Et encore des heures…

On l’a fait avec tout notre cœur, mais une partie de moi ne pouvait s’empêcher de penser : ça serait tellement plus facile de faire un Roundup.

Parce que, vous savez, le temps, ça coûte cher. Le temps qu’on a mis à arracher des mauvaises herbes, c’est celui à passer en amoureux. C’est celui à partager avec les amis. C’est celui en famille. C’est celui pour soi, pour courir, bricoler, lire, marcher avec son chien. C’est celui de jour, de soir, de fin de semaine. C’est celui pour relaxer un peu aussi. Combien ça vaut, ce temps-là ? Je n’ai pas compté. Ni le nombre d’heures ni ce qu’elles valent.

Ce que je sais, par contre, c’est qu’au moment de vendre mes légumes, je me fais dire qu’ils sont chers. On m’a demandé, dans un marché public, si elles étaient en or, mes carottes. Dans les sondages de satisfaction auprès de ma clientèle, des gens répondent que c’est cher… 

Je pose donc la question. Tous ces gens qui applaudiraient l’interdiction du glyphosate (ou de n’importe quel autre pesticide) seraient-ils prêts à payer plus pour des légumes produits sans l’aide de ces produits « sauve temps » ? Seraient-ils prêts à venir désherber dans nos champs ? À étendre et relever les filets contre les insectes, jour après jour ? À assumer avec les agriculteurs les pertes causées par les ravageurs et maladies ? Probablement pas…

UNE RÉFLEXION COLLECTIVE

Si on veut éliminer ces produits de l’agriculture, c’est toute la société qui devra suivre et changer. On donne sans compter à la recherche pour trouver un remède au cancer, mais on refuse de payer pour de la nourriture exempte de produits cancérigènes. On considère la nourriture comme n’importe quelle marchandise, alors que c’est le carburant qu’on fournit à notre corps.

Quand les producteurs comme nous auront baissé les bras, délaissé leurs fourches, bêches, filets et pelles, qui restera-t-il pour nous nourrir ? Des multinationales de l’alimentation, qui ont aussi des parts dans les sociétés pharmaceutiques ? Sera-t-on nourris par les mêmes sociétés qui nous fourniront les médicaments (à gros prix) et pour lesquels on aura nous-mêmes financé la recherche ?

Je n’ai pas de solutions à proposer, malheureusement. Mais je crois qu’une bonne réflexion collective reste à faire…

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