Opinion : Homa Hoodfar

Celle dont Trudeau ne prononce pas le nom

Conférence de presse. Justin Trudeau et Stéphane Dion, premier ministre et ministre des Affaires étrangères, sont outrés.

M. Trudeau, poing sur la table, dit d’un ton ferme : « Le Canada a déjà perdu une vie dans cette prison de Téhéran. C’est assez ! » M. Dion renchérit : « Oui, on ne peut se permettre de laisser la professeure Homa Hoodfar une semaine de plus. Nous travaillons activement pour qu’elle revienne au bercail. » Je me réveille. Je rêvais. Et c’est la réalité qui est un cauchemar.

Homa, professeure émérite de l’Université Concordia, a maintenant passé plus de 100 jours en isolement à la prison d’Evin de Téhéran et non, il n’y a pas eu de conférence de presse et je n’ai pas entendu son nom prononcé par mon premier ministre.

Pourtant, l’heure est grave. Homa est malade. Déjà, début août, elle a dû être hospitalisée. Déjà, elle avait peine à parler et à marcher, ses difficultés possiblement aggravées par la myasthénie dont elle est affligée. Et on peut imaginer les conditions de la prison d’Evin : on les dit des plus brutales.

Pour aller de mal en pis, le juge qui préside son cas est allé à l’encontre de la Constitution et du droit de l’Iran en renvoyant l’avocat de Homa et en nommant lui-même son remplaçant, déterminé à la voir condamnée pour son féminisme.

Le crime de Homa est d’avoir voulu améliorer la vie des femmes.

En tant qu’anthropologue, Homa a voyagé pendant 40 ans pour étudier le rôle des femmes dans les sociétés musulmanes. Elle a critiqué certains anthropologues occidentaux pour leur façon orientaliste de voir les femmes du soi-disant tiers-monde et leur perpétuation des stéréotypes à leur sujet.

En menant ses recherches avec un respect et une générosité extraordinaires envers les femmes d’Iran, d’Égypte et du Pakistan, entre autres, Homa a entendu leurs voix et contribué à décoloniser l’anthropologie, à déconstruire les mythes au sujet des femmes musulmanes, voilées ou non, et à documenter l’émergence de perspectives axées sur les femmes qui remettent en question les visions conventionnelles sur le genre.

Homa a écrit plusieurs livres et des dizaines d’articles-clés dans sa discipline. Ses écrits sont reconnus internationalement, mais ses étudiants l’aiment à cause de son dévouement et de sa générosité à leur égard. Des milliers de Québécois ont eu Homa comme professeure et des dizaines l’ont eue comme directrice de thèse et ont pu apprécier cette femme de cœur. 

Ses élèves enseignent maintenant partout sur la planète en continuant à transmettre cet intérêt pour l’équité, cette façon ouverte de voir les genres et la sexualité (comme dans les plus récents écrits de Homa) et cette façon de s’intéresser au sort des femmes, de toutes les femmes, même les plus pauvres, les plus opprimées, les plus marginalisées, les plus oubliées par nous, ici, au Canada.

UN MOUVEMENT MONDIAL

Si des signes concrets de la préoccupation de notre gouvernement canadien manquent aujourd’hui, nous, les collègues de Homa, nous joignons à ses étudiants et à des universitaires de multiples pays pour continuer notre campagne visant à faire libérer Homa. Amnistie internationale, PEN International, Québec solidaire, le Parti vert, des dizaines d’associations féministes ou d'enseignement au pays et dans le monde ont signé des pétitions.

Nos collègues irlandais ont déjà fait une démonstration, vêtus de leur toge, devant l’ambassade d’Iran à Dublin. Et hier, 22 ex-rapporteurs spéciaux de l’ONU ont déposé une demande aux représentants de l’Iran à l’ONU pour que soit respectées les lois iraniennes et les ententes internationales dont l’Iran est signataire. Entre autres celle concernant les « objectifs de développement durable » de l’ONU (par exemple, l’objectif 5 est de « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles »).

Homa est un atout inestimable pour l’Université Concordia, le Québec et le Canada. Elle est une des nôtres et doit rentrer au pays. Nous planifions des actions un peu partout autour de nous et invitons tous ceux qui ont à cœur la liberté académique à se joindre à nous pour œuvrer à la libération immédiate et inconditionnelle de Homa.

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