Chronique

Moins de cachotteries dans les pharmacies, mais…

En théorie, il s’agit d’une belle avancée. Depuis le 15 septembre, les pharmaciens doivent divulguer leurs honoraires séparément sur toutes les factures qu’ils remettent aux clients. Bravo pour la transparence !

Mais dans la pratique, je ne suis pas certaine que cette nouvelle information encouragera tant de clients à magasiner leur pharmacien. C’est regrettable, car les prix des médicaments varient du simple au double d’une pharmacie à l’autre, parfois davantage, comme le démontre une nouvelle enquête parue dans le numéro d’octobre du magazine Protégez-vous.

Par exemple, une provision d’un mois de Pantoloc pour traiter vos problèmes gastriques peut vous coûter 18 $ dans une pharmacie et 46 $ dans une autre. Deux fois et demie plus cher. Glup ! La pilule passe croche.

Mais peu de patients sont conscients des écarts de prix. Certains s’imaginent peut-être que le prix des médicaments est réglementé. En fait, le prix du médicament (l’ingrédient en tant que tel) est le même dans toutes les pharmacies. Mais les honoraires du pharmacien, eux, varient considérablement.

Pour les Québécois qui sont assurés avec la RAMQ, Québec négocie serré les honoraires, qui sont fixés à environ 9 $ par ordonnance. Point final. Mais du côté privé, où il y a peu de contrôle, les honoraires sont facilement trois fois plus élevés.

Cela explique pourquoi les assurés du privé paient 17 % de plus que ceux du public, et même 37 % sur les médicaments génériques. Un système inéquitable.

***

Maintenant que les honoraires des pharmaciens sont écrits noir sur blanc sur la facture, j’espère que les patients poseront un peu plus de questions sur les prix de leurs médicaments.

Dans certaines provinces, il existe même des outils sur l’internet qui permettent aux patients de comparer aisément les honoraires dans différentes pharmacies en quelques clics. Malheureusement, ce genre de Trivago du médicament n’est pas sur le point de voir le jour au Québec, car les pharmaciens refusent de transmettre leurs honoraires aux assureurs en format électronique.

En fait, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) conteste devant les tribunaux l’application de la nouvelle loi 92 qui prévoit que les pharmaciens doivent remettre une facture détaillée « à la personne à qui est réclamé le paiement […] d’un médicament ».

Selon l’AQPP, cela signifie les patients, mais pas les assureurs.

Pourquoi jouer sur les mots ? Pourquoi une transparence à deux vitesses ? Il me semble que si la transparence est souhaitable pour les clients qui se présentent au comptoir de la pharmacie, elle est bonne aussi pour les assureurs qui administrent leur régime collectif… et qui disposent des véritables leviers pour pimenter véritablement la concurrence dans les pharmacies.

Car en ce moment, les assurés sont peu enclins à magasiner leurs médicaments, puisqu’ils ne paient qu’une fraction du prix du médicament (franchise et coassurance) à la pharmacie.

Et même si les prix gonflés des médicaments font grimper leur prime d’assurance, plusieurs ne s’en rendent pas trop compte ou s’en balancent un peu, puisque c’est leur employeur qui paie une bonne partie de la facture.

***

Pour contrôler l’escalade des coûts des régimes d’assurance médicaments, certains assureurs ont donc pris le taureau par les cornes. Ils ont commencé à plafonner les honoraires qu’ils remboursent à leurs assurés. Le patient est libre d’acheter où bon lui semble, mais il doit payer l’excédent si les honoraires de son pharmacien dépassent le plafond établi par son régime.

Rien pour plaire aux pharmaciens, qui se sont dépêchés de faire ajouter dans la loi 92 une clause prévoyant des pénalités allant jusqu’à 1 million de dollars pour l’administrateur d’un régime d’assurance qui s’adonne au « dirigisme », c’est-à-dire qui entrave la liberté du patient de choisir son pharmacien.

Est-ce que le plafonnement des honoraires remboursés constitue une forme de dirigisme ? Comme les sommes en jeu sont importantes, il serait pertinent que Québec se prononce.

Dans les autres provinces, le plafonnement existe depuis une vingtaine d’années et encourage les clients à éviter les pharmacies qui imposent des honoraires excessifs.

Au Québec, les assureurs n’ont jamais osé aller dans cette direction. Et savez-vous quoi ? Les prix des médicaments sont bien plus élevés qu’ailleurs au Canada. Les médicaments génériques, en particulier, coûtent pratiquement deux fois plus cher (91 %) au Québec que dans les autres provinces, selon Express Scripts Canada.

Quand Québec a négocié une baisse du prix des génériques, les assurés du privé n’ont jamais vu la couleur de ces économies, car les assureurs n’exercent pas de contrôle. Les pharmaciens ont donc eu le champ libre pour augmenter leurs honoraires et empocher les économies à la place des patients.

***

Pour contenir les prix des médicaments, le plafonnement des honoraires est certainement un outil plus puissant que la divulgation des honoraires des pharmaciens.

Mais si on va dans cette direction, les assureurs doivent aussi montrer patte blanche. Ils doivent notamment donner plus d’information sur la formule utilisée pour plafonner les honoraires. Les assurés doivent comprendre pourquoi ils paient un excédent. Sinon, ils absorberont la facture sans savoir comment réagir.

Ils devraient aussi fournir plus d’information sur leur rentabilité. Présentement, 79 % des primes d’assurance maladie sont reversées sous la forme de prestations, indique une étude du CIRANO diffusée en juillet dernier. Mais pour l’assurance médicaments spécifiquement, impossible à dire…

La transparence, c’est bon pour tout le monde. Pour les pharmaciens autant que pour les assureurs.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.