Opinion  Éducation

En théorie, aider les enfants…

… mais en pratique, beaucoup de paperasse pour seulement quelques heures de suivi par élève

Pour qui je travaille ? Ces temps-ci, c’est une question que je me pose souvent.

Je suis orthophoniste dans une école de Montréal. Une école qui sert aussi de point de service pour les enfants avec des troubles du langage graves, des « handicapés langagiers ». Le paradis pour une jeune orthophoniste motivée et passionnée par son domaine.

Oui, mais... Il faut d’abord comprendre ce qui m’a amené à vouloir devenir orthophoniste : pouvoir aider les gens. C’est peut-être cliché, mais c’est ça. Aider les gens a toujours été ma source de motivation la plus puissante. Il y a d’autres moyens d’aider vous me direz, et je suis d’accord. Toutefois, la communication est à l’origine de toute relation humaine, du moment où un bébé reconnaît les formes du visage de sa mère, qu’il entend sa voix, qu’il tente de lui communiquer un message en pleurant. Et pour moi, c’est la base.

Alors, me voilà dans une nouvelle école dans laquelle je travaille 5 jours/semaine, un quasi-miracle ! J’aurai tellement de temps pour suivre les élèves, je vais tellement les voir évoluer...

Minute, là.

Au mois de septembre, tu devras prendre connaissance de tes dossiers, observer en classe, rencontrer le personnel, appeler les intervenants externes, les parents, transférer des dossiers, archiver des dossiers, créer des dossiers. Au mois d’octobre, tu devras mettre en place un plan d’intervention pour chaque élève des classes de langage que tu ne connais pas encore, rencontrer leurs parents pour leur dresser les forces et les difficultés de leur propre enfant et leur dire ce qui sera « travaillé » – ou, devrais-je dire, « surveillé » pendant l’année.

Et, au mois de novembre, tu pourras commencer ton premier bloc de suivi, c’est-à-dire 10 semaines où tu verras chaque enfant 30 minutes par semaine.

Un gros cinq heures de suivi direct (moins les pédagos, les grèves, les sorties, les réunions, et toute raison valable).

Et le 2 novembre, une pause validation, pour écrire des rapports express, remplir de la paperasse à n’en plus finir et jouer au détective en tentant de comprendre les suivis antérieurs des enfants. Tout ça pour que le code 34, le code de déficience langagière, soit octroyé à ces enfants par le ministère de l’Éducation. Pour qu’ils soient véritablement « handicapés ». Pour que l’école puisse les « aider ».

Ce genre de subvention, en grande quantité, permet à des écoles comme la mienne d’avoir cinq jours d’orthophonie attribués par la commission scolaire. Très chouette, en théorie. En pratique, c’est un gros cinq heures avec un enfant qui n’est pas capable de faire des phrases complètes, de comprendre des consignes, de nommer ses besoins...

Et je me demande encore, pour qui je travaille ?

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