Fraude, plagiat et mensonges chez les scientifiques

15 professeurs congédiés, suspendus ou rétrogradés

Un tout nouveau document fédéral révèle des détails inédits sur les dérives survenues dans les universités canadiennes et sur les sanctions imposées aux chercheurs fautifs.

Un chercheur employé d’une université canadienne a illégalement conservé des « agents pathogènes à haut risque » dans son laboratoire – qui « n’était pas équipé en conséquence » – et a demandé à son assistant et à ses étudiants de mentir pour le protéger.

C’est l’un des 63 exemples exposés dans un tout nouveau document fédéral recensant les cas de scientifiques ayant commis des actes malhonnêtes ou failli à leurs devoirs. La majorité des informations qui s’y trouvent n’avaient encore jamais été rendues publiques.

La « synthèse des faits » mise en ligne hier révèle que la police a été alertée à trois reprises entre la création du Groupe pour la conduite responsable de la recherche, en décembre 2011, et le 1er avril 2016. Durant cette période, 15 professeurs canadiens ont été congédiés, suspendus, rétrogradés ou ont démissionné après avoir été reconnus fautifs de détournement de fonds, de fausse déclaration, de fraude ou de plagiat. L’un d’entre eux a parallèlement été poursuivi au civil. Une demi-douzaine d’étudiants ont par ailleurs été expulsés ou ont vu leur doctorat révoqué.

On ignorait jusqu’ici quelles étaient les sanctions imposées par les universités.

Le professeur qui gardait des agents pathogènes dangereux en cachette (vraisemblablement des bactéries ou des virus) fait partie des cinq chercheurs congédiés, et son laboratoire a été fermé. Il avait aussi falsifié « une lettre d’appui d’un partenaire de l’industrie » et l’avait jointe à une demande de subvention.

Anonyme

Contrairement à l’Office for Research Integrity américain, le Groupe pour la conduite responsable de la recherche ne nomme pas les chercheurs fautifs, ni leur université, et ne précise même pas s’il s’agit d’un homme ou d’une femme – « conformément aux lois provinciales et fédérales sur la protection des renseignements personnels », justifie-t-il sur son site web.

Son nouveau document lève au moins le voile sur le niveau de gravité des dérives survenues récemment au Canada et sur leurs suites au sein des établissements. Une enquête de La Presse a révélé en septembre que la moitié des universités québécoises refusent de révéler quoi que ce soit à ce sujet.

On découvre maintenant que la grande majorité des chercheurs fautifs faisaient partie du corps professoral. Plusieurs d’entre eux sont allés jusqu’à demander à leurs étudiants de mentir pour cacher une fraude, et plusieurs ont tenté de blâmer leurs subalternes.

D’autres professeurs ont au contraire écopé pour des fraudes ou plagiats commis par des étudiants ou des collaborateurs. Les agences subventionnaires fédérales concernées – qui imposent leurs propres sanctions, distinctes de celles des universités – ont jugé que ces professeurs avaient manqué de vigilance et failli à leurs devoirs de supervision.

Voici un aperçu des affaires les plus graves ou frappantes.

Détournements de fonds

Trois universités canadiennes ont alerté la police après avoir découvert des détournements de fonds de recherche. Un ex-agent responsable d’administrer des subventions avait fait des chèques « à une entité qu’il avait créée ».

Un professeur avait plutôt soumis plusieurs « fausses réclamations de frais de déplacement liées à la participation à des conférences scientifiques [et] systématiquement altéré ou fabriqué des pièces justificatives, y compris des relevés de carte de crédit ainsi que des reçus d’hôtel et de taxi ».

Le dernier chercheur s’est fait rembourser intégralement les mêmes dépenses par plusieurs organisations. « Il savait que des rapports présentés par des étudiants au sujet de leur travail comprenaient des renseignements inexacts [et] a conseillé aux étudiants d’induire les enquêteurs en erreur », lit-on dans la synthèse fédérale.

Fabulations

Un professeur a « dénaturé les résultats obtenus lors d’essais répétés » et les a utilisés dans plusieurs articles trompeurs, puis a tenté de berner le comité d’investigation.

Son cas ressemble à celui de la Torontoise Sophie Jamal, qui avait « manipulé les données en vue d’étayer l’hypothèse sous-tendant les recherches » sur l’ostéoporose et en avait faussement accusé un adjoint. La nouvelle synthèse fédérale fait état d’une dizaine d’autres histoires de fabrication et de falsification. Un doctorant a par exemple totalement inventé les participants à sa recherche, fabriqué ses données et soumis un article tissé de ces faussetés.

Dans la moitié des cas, l’établissement n’a pas pu aller au fond des choses, les professeurs dénoncés ayant blâmé un collaborateur étranger, le personnel de leur laboratoire ou un étudiant pour les manipulations, parfois « grossières », ayant été détectées. Les fonds de recherche ont toutefois jugé qu’il fallait à tout le moins punir leur manque de supervision ou de rigueur.

exagération

Fait plus rare, on a reproché à une université d’avoir publié un document d’information « qui surestimait les résultats » d’une recherche. Elle a publié un nouveau document pour corriger le tir et « éviter la mésinformation du public ».

L’auteur de l’étude n’avait pas vu le document d’origine, mais a néanmoins été réprimandé, car son article contenait « diverses erreurs ». Et parce qu’il avait lui-même omis de présenter « une vue d’ensemble équilibrée des données disponibles » et avait « manqué de clarté quant au fondement et aux détails de certaines conclusions ».

Plagiat

Plus du tiers des affaires résumées dans le nouveau document fédéral concernent des professeurs ou des étudiants s’étant approprié le travail d’autrui.

Certains ont puisé sans le dire dans des dizaines d’articles à la fois, dans les travaux de leurs étudiants ou dans l’étude d’un collègue qu’on leur avait demandé de réviser. Un professeur a « publié des comptes rendus de deux conférences auxquelles il n’avait pas assisté ».

Un étudiant a même prétendu que les données d’une étude internationale à laquelle il avait participé étaient les siennes et a publié le tout dans sa thèse, court-circuitant ainsi le chercheur principal.

Un autre doctorant a vainement « invoqué le stress et les contraintes de temps extrêmes » pour justifier un plagiat majeur.

Parmi les plagiaires, plusieurs professeurs ont écopé de suspensions, et l’un a « été démis d’un poste prestigieux ».

punitions 

La plupart des professeurs ayant manqué d’intégrité et certains étudiants ont dû rembourser les subventions mal utilisées. Ils se sont aussi retrouvés sur la liste noire des fonds de recherche, ce qui les empêche de faire une nouvelle demande pour quelques années.

Les autres ont reçu une lettre de réprimande ou de « sensibilisation ».

Leurs établissements ont exigé le retrait des articles frauduleux ou les ont forcés à s’excuser, à suivre des formations sur l’intégrité en recherche, etc. Certains ont révisé leurs propres politiques.

Dans une poignée de cas, les agences subventionnaires ont toutefois cru bon de semoncer les universités elles-mêmes, en leur réclamant directement des fonds ou en leur reprochant leur « manque de supervision » ou leur lenteur (jusqu’à plusieurs années) à signaler qu’un chercheur s’était volatilisé sans jamais avoir justifié l’utilisation d’une subvention.

Le Groupe pour la conduite responsable de la recherche a décidé de diffuser ces nouvelles informations pour aider les établissements à former leurs employés en matière de conduite responsable de la recherche, en leur fournissant des exemples concrets des conséquences des violations.

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