Éditorial François Cardinal

Quatre milliards ? Vraiment ?

Cette fois semble la bonne.

Ou du moins, on le souhaite.

Car on parle tout de même du prolongement de la ligne bleue vers Anjou depuis… 1979 ! Imaginez : à l’époque, le gouvernement Lévesque intégrait le système métrique à la construction, il approuvait la fusion de Nordair et de Québécair et il découvrait « l’importance de la protection de la qualité de la vie ».

On part de là, il y a près de 40 ans, avec ce prolongement vers l’est proposé par le ministre Denis de Belleval… puis à peu près tous les ministres des Transports qui lui ont succédé, en lançant tour à tour une énième analyse, une autre étude de préfaisabilité ou un deuxième bureau de projet.

Cette fois, soyons indulgents, ça semble différent. La pelle n’est pas dans le sol, mais hier, ce sont tout de même les premiers ministres provincial et fédéral qui ont annoncé l’élaboration du dossier d’affaires.

Un budget de plus de 3 milliards est déjà réservé à Québec. Et le fédéral est à un cheveu d’une implication financière dans le prolongement (la toute première, sauf erreur, dans le développement du métro à Montréal).

C’est ce qui a fait dire à Philippe Couillard que le projet est maintenant « irréversible ».

On veut y croire.

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Maintenant que le projet a franchi un seuil critique, c’est le temps de le regarder plus en détail.

En soi, le prolongement se justifie. Il y a 30 ans qu’on n’a pas inauguré une station de métro dans l’île de Montréal, et l’Est est le secteur le plus désigné pour en ajouter. En plus, l’extension de la ligne bleue offre le meilleur potentiel d’achalandage et de transfert modal par rapport aux autres prolongements étudiés.

Mais une fois cela dit… tout près de quatre milliards de dollars ? Pour cinq petites stations ? Vraiment ?

Cette somme est tellement élevée qu’on peine à comprendre. À ce prix-là, le tracé de 5,8 km nous reviendra à 670 millions le kilomètre, une facture comme on n’en voit nulle part ailleurs au monde.

Pour mémoire, le prolongement du métro à Laval a coûté 745 millions en 2007, soit 143 millions le kilomètre. Si on convertit en dollars constants, cela équivaut à 180 millions pour chaque kilomètre.

Le plus curieux, comme l’a récemment souligné Richard Bergeron dans nos pages, c’est que les deux extensions se ressemblent. La distance est pratiquement la même. L’un a quatre stations (incluant la reconstruction de la station Henri-Bourassa), l’autre en a une de plus.

Et pourtant, l’un coûte 670 millions le kilomètre, et l’autre, 180 millions ! Près de quatre fois plus !

En guise de justification, M. Couillard a précisé que le prolongement vers Anjou comprend les expropriations, deux terminus de bus, un stationnement souterrain et une passerelle piétonne.

Soit. Mais l’extension vers Laval incluait aussi les expropriations, les débarcadères d’autobus, les stationnements incitatifs… et même le franchissement de la rivière des Prairies !

Donc à nouveau la question : comment un simple prolongement de métro en ligne droite peut-il coûter 4 milliards ?

Surtout quand on sait que le REM en coûtera moins du double… pour cinq fois plus de stations, d’imprévus et de complexité !

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Un sain scepticisme est de mise quand on se souvient du dernier prolongement de métro réalisé dans la région.

Rappelez-vous en 1998 : Bernard Landry avait annoncé l’extension vers Laval en dévoilant une estimation qu’il savait irréaliste, soit 179 millions.

Puis il y a eu la saga du « kilomètre oublié ». Le manque de rigueur dans les rapports de faisabilité. Les travaux entamés avant l’analyse des études d’avant-projet. La mauvaise évaluation des risques. Et une hausse continuelle de la facture pour atteindre, au final, 745 millions. Soit quatre fois plus.

À la lumière de ce ratage spectaculaire, on peut comprendre la prudence du gouvernement, cette fois, qui prévoit une fin de projet en 2026 (quoique 2026, c’est quand même loin…). Mais du côté financier, cela commande une publication prochaine d’une comptabilité détaillée du projet, comme le réclame l’ancien numéro 2 de l’administration Coderre, M. Bergeron.

Peut-être que le budget se justifie ? Peut-être que les particularités du projet sont nombreuses (quai central, doublement des tunnels, etc.) ? Peut-être que les sols sont difficiles à creuser ? Ou peut-être qu’on intègre de nouvelles voitures Azur, qui sait ?

Mais ces informations doivent être rendues publiques, pour jouer de transparence et réduire toute méfiance.

Le prolongement de Laval a été un fiasco financier du début à la fin, mais un immense succès en termes d’achalandage. Assurons-nous que le prolongement d’Anjou soit une réussite sur les deux plans.

Moments choisis d’une longue histoire…

1979 Le Plan de transport intégré de la région de Montréal inclut le prolongement de la ligne bleue jusqu’à Anjou.

1984 Le Bureau des transports métropolitains appuie l’intention de prolonger la ligne bleue vers Anjou.

1988 Le plan décennal du ministre Marc-Yvan Côté met le cap sur l’extension de la ligne bleue vers Montréal-Nord.

2001 Le ministre Guy Chevrette annonce son intention de prolonger d’ici 2006 la ligne bleue jusqu’au croisement entre les autoroutes 25 et 40.

2009 Le premier ministre Jean Charest annonce l’ouverture d’un bureau de projet pour le prolongement du métro de Montréal.

2010 Les membres du comité directeur du bureau de projet décident de mettre la priorité sur la ligne bleue.

2013 Le ministre Sylvain Gaudreault annonce l’ouverture d’un deuxième bureau de projet chargé d’étudier le prolongement des lignes bleue, orange et jaune.

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