La tentation du baseball

C’était en avril dernier au Stade olympique. Aussitôt rentré dans l’abri sous les applaudissements de la foule, le cogneur Big Papi, David Ortiz de son vrai nom, en ressort presque immédiatement, sa casquette à la main, qu’il s’empresse d’ailleurs de remettre au garçon assis dans la première rangée. Le jeune amateur de balle peine à croire que le cadeau du gentil géant des Red Sox lui est destiné.

« Comment ne pas trouver le baseball romantique ? », comme dit Brad Pitt, alias Billy Beane, dans le film Moneyball.

Il y a 20 ans, le romantisme relatif au passe-temps préféré des Américains passait par un stade au centre-ville.

Or, on apprend aujourd’hui que la Caisse de dépôt et placement a étudié la possibilité d’investir dans le complexe immobilier du stade de baseball, selon des documents officiels qui émanent de l’investisseur institutionnel.

L’information est digne d’intérêt au moment où l’idée que Montréal se dote d’un nouveau stade de baseball revient dans l’actualité.

Le 5 mai dernier, le commissaire du baseball majeur, Rob Manfred, a mentionné les noms de Montréal et de Mexico comme ses villes préférées pour une éventuelle expansion.

LE STADE LABATT

À l’époque du gérant Felipe Alou, Nos Z’Amours rêvent de construire au centre-ville un stade consacré exclusivement au baseball. Le plan consiste à faire financer le stade Labatt en parts égales par le fédéral, le provincial et le privé.

Mais Québec, qui vise le déficit zéro, se fait tirer l’oreille. La Caisse paraît plus volontaire. Lors d’une allocution publique en octobre 1997, le président de la Caisse, Jean-Claude Scraire, laisse entendre que l’institution n’écarte pas l’idée de participer au financement du stade, en échange de garanties.

Sept mois plus tard, un article fort détaillé du collègue Philippe Cantin avance, document à l’appui, que les Expos projettent de faire construire à côté du stade trois tours de 37, 28 et 9 étages dans lesquelles on trouverait logements, hôtel, bureaux et commerces. L’article du 26 mai 1998 ne dit mot sur les sources de financement.

« C’est un projet très préliminaire qui était sur la rue Peel », se souvient Claude Brochu, commandité et copropriétaire du club de baseball à l’époque, que nous avons joint chez lui. « On avait l’idée. On trouvait que ça serait une bonne idée, que ça pourrait aider dans l’ensemble du financement si jamais on avait besoin de plus d’argent », poursuit-il.

Claude Brochu l’ignore à l’époque, mais la Caisse regarde le dossier avec intérêt.

Le sujet a en effet été discuté à une réunion du conseil d’administration de l’institution le 22 mai 1998, quatre jours seulement avant la parution de l’article.

« Expos : Cadim [filiale immobilière de la Caisse] examine l’aspect résidentiel et commercial du projet global », y lit-on. Le procès-verbal de la réunion a été rendu public en mars dernier. S’ensuit un résumé des discussions entre administrateurs sur le sujet.

De nos jours, on parlerait d’une stratégie de captation foncière. Dans le cadre d’une telle stratégie, un investisseur se laisse convaincre de construire un équipement collectif à la rentabilité incertaine. En échange, l’investisseur obtient la plus-value immobilière des terrains adjacents.

« Le projet tel que l’on avait imaginé donnait le coup d’envoi au développement de la rue Peel, de la rue Saint-Jacques jusqu’au canal. »

— Claude Brochu

« C’est peut-être pour cette raison que la Caisse aurait décidé de prendre une longueur d’avance et souhaité participer dans le projet. C’est quelque chose qui aurait pu bien réussir, j’en suis convaincu. »

Comme le stade Labatt n’a jamais vu le jour, l’analyse de la Caisse n’a pas eu de suite.

« Ce n’est pas quelque chose qui est allé très loin. On a une filiale qui sait ce qui se passe et qui surveille ça », dit une personne qui était au service de la Caisse et qui ne tient pas à être nommée.

2 MILLIARDS US POUR UN CLUB

Dix-huit ans après ce mois de mai 1998, l’ex-Expo Bartolo Colon lance toujours dans les majeures (et a même frappé son premier circuit en carrière ce mois-ci), mais pour le reste, le baseball professionnel a évolué dans une direction qui favorise le retour de la balle dans la ville de Russell Martin.

Quand les Expos rentreront-ils au bercail ? Un nouveau club coûterait 2 milliards US au minimum, selon Claude Brochu qui, en passant, n’a pas assisté aux matchs préparatoires présentés au Stade olympique.

Pour ce qui est du stade proprement dit, la Caisse peut certainement faire partie de la solution en raison de son appétit pour les infrastructures, croit Michel Leblanc, président et chef de la direction de la chambre de commerce du Montréal métropolitain. « S’il y avait une infrastructure importante avec un modèle d’affaires qui tient la route, quitte à ce qu’il y ait des investissements du gouvernement, la Caisse pourrait être un des partenaires », dit-il dans un entretien.

Pourquoi pas ? La Caisse avait bien pris la peine d’examiner ce scénario en 1998, dans un contexte économique bien plus défavorable qu’aujourd’hui. Comme elle a d’ailleurs envisagé l’achat du domicile du Club de hockey Canadien à peu près à la même période, mais ça, c’est une autre histoire (voir notre texte à l’onglet 4).

— Avec la collaboration de William Leclerc

Les secrets de la Caisse

Un accès à l’information à géométrie variable

L’article 35 de la Loi sur l’accès à l’information autorise les organismes à limiter l’accès aux mémoires des délibérations des conseils d’administration pendant 15 ans. La Presse a donc demandé les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration de 1996 à 2001 d’Hydro-Québec, Loto-Québec, la Société des alcools, Investissement Québec et la Caisse de dépôt.

Si la Caisse de dépôt a répondu favorablement à notre demande, on ne peut en dire autant des autres sociétés d’État. Hydro-Québec s’est contentée d’envoyer des extraits. On attend encore les documents de Loto-Québec. La SAQ exige des frais de 378 $ et Investissement Québec s’est adressée à la Commission d’accès à l’information afin de faire déclarer abusive notre demande. — André Dubuc, La Presse

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