Les secrets de la Caisse de dépôt

Rendez-vous manqué entre Jean Coutu et Drug Mart

Le mariage raté entre Jean Coutu et Shoppers Drug Mart en 1999 est l’un de ces rendez-vous manqués qui changent une vie. Des documents de l’époque montrent que la Caisse était prête à avancer de l’argent pour que Jean Coutu emporte la mise et devienne le leader incontesté de la pharmacie au Canada.

Rendez-vous manqué

Cap sur les États-Unis

Comme plan B, Jean Coutu traverse aux États-Unis, sans la Caisse – « Je ne me souviens pas que le sujet ait été discuté chez nous », dit un ancien de l’institution. En 2004, le Groupe acquiert 1539 pharmacies Eckerd pour 3,15 milliards en s’endettant. « Quand est arrivée l’acquisition, dit un second interlocuteur, M. Coutu a voulu se rattraper. Il s’est dit : “J’en ai manqué une. Au moins, celle-là, je vais l’avoir.” Et là, il est allé trop cher. » L’ami Coutu évite la catastrophe en revendant en 2007 sa division américaine à Rite-Aid en échange d’actions, qu’elle écoulera progressivement jusqu’en 2013.

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KKR remporte la mise

Le 18 novembre, Kohlberg Kravis Roberts (KKR) gagne la mise en offrant 2,55 milliards. Sur le coup, François-Jean Coutu, qui a décliné notre demande d’entrevue, trouve le prix trop généreux. On parle d’un écart de 450 millions, ce qui fixe l’offre de Coutu à 2,1 milliards, moins que ce qui est indiqué dans les documents de la Caisse. « J’ai regretté qu’on ait manqué d’audace, dit aujourd’hui un informateur au fait des détails de l’offre de Coutu. M. Coutu [Jean, le père] était notre guide. On se fiait à lui. C’est lui qui connaissait le marché et qui avait fixé le prix. Il était très prudent », se rappelle-t-il.

Rendez-vous manqué

Presque quatre fois plus grosse

« Compte tenu du prix, je ne peux pas être déçu, a dit François-Jean Coutu en novembre 1999. Je voyais ça avec des yeux d’opérateur et eux avec des yeux de financiers. Le temps dira qui a raison. » Shoppers vaut presque quatre fois Jean Coutu, comme en font foi les 12,4 milliards payés par Loblaw en 2014 pour acquérir la première. Coutu a une valeur de 3,5 milliards. Son chiffre d’affaires atteint 2,8 milliards, comparativement à 2,3 milliards en 1999.

« Il y a des moments qui ne se représentent pas, dit l’ancien de la Caisse. Shoppers est allé d’un bord et a échappé à Coutu. Ça a changé l’histoire des deux groupes. »

— Avec la collaboration de William Leclerc

Rendez-vous manqué

Combien pour Shoppers ?

En août de la même année, le conseil de la Caisse vote une résolution autorisant un investissement pouvant aller jusqu’à 650 millions dans le Groupe Jean Coutu dans le cadre de l’acquisition de Shoppers, soit 450 millions en actions subalternes et 200 millions en prêt temporaire à taux élevé. Le nouveau groupe compterait 1116 pharmacies au Canada et 254 aux États-Unis. Le procès-verbal parle d’un projet totalisant 2,476 milliards financé par emprunt, par obligations subordonnées et par l’émission d’actions ordinaires. Des discussions évoquent les scénarios en cas de prix d’acquisition encore plus élevé.

Rendez-vous manqué

L’éclatement d’un conglomérat

En 1999, British American Tobacco (BAT), qui détient 42 % du conglomérat Imasco, propriétaire d’Imperial Tobacco, fait une offre pour racheter les 58 % d’actions qu’elle ne détient pas. Son but est de vendre les filiales autres qu’Imperial Tobacco pour financer la transaction. Cette manœuvre implique la mise aux enchères de Shoppers Drug Mart/Pharmaprix, numéro un canadien avec 824 pharmacies, dont 69 au Québec, et des ventes de 4,2 milliards. Les analystes prévoient un prix d’achat pour Shoppers variant entre 2,3 et 4 milliards. Imasco en veut 2,1 milliards au minimum.

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