ÉDITORIAL MICROBILLES

Des perles dont on se passerait

Les produits de base, apparemment, ne suffisent plus. Pour se sentir propre, il faut que le nettoyant facial, le gel douche ou le dentifrice ait de la texture, et que ça se voie à l’œil nu. Il faut que ça scintille dans la lumière et que ça grattouille au passage : il ne s’agit plus de s’exfolier le visage périodiquement, mais tout le corps, tous les jours. Le hic, c’est que beaucoup de ces petites granules sont en plastique : un véritable fléau pour l’environnement. Il faut arrêter les émissions à la source.

C’est ce que le Wisconsin vient de faire en bannissant les microbilles de plastique des produits d’hygiène personnelle. À partir de 2018, il ne sera plus permis d’en incorporer à la fabrication et d’ici 2019, tous les produits qui en contiennent devront avoir disparu des tablettes. Quelques États, dont l’Illinois, le New Jersey, le Colorado et le Maine, avaient déjà mis ces particules à l’index. Plusieurs autres envisagent de le faire.

Au Canada, le NPD a présenté à la fin mars une motion visant à faire ajouter les microbilles à la liste des substances toxiques – appuyée, à la surprise générale, par l’administration Harper. Le gouvernement, toutefois, veut d’abord qu’Environnement Canada étudie les impacts environnementaux de ces résidus. Autrement dit, on avance sans se mouiller. Espérons qu’on n’essaie pas de noyer le poisson. Documenter l’ensemble des problèmes prendrait des années, mais on en sait déjà suffisamment pour être dégoûté.

Ces sphères minuscules se faufilent à travers les systèmes de traitement des eaux usées et aboutissent dans les cours d’eau. On en trouve jusqu’à 1000 par litre dans le Saint-Laurent, montre une étude publiée l’automne dernier dans le Journal canadien des sciences halieutiques et aquatiques. C’est « semblable aux concentrations de microplastique observées dans les sédiments marins les plus contaminés du monde », soulignent les auteurs issus de l’Université McGill et du ministère québécois de l’Environnement.

D’autres chercheurs en ont trouvé des concentrations importantes dans les Grands Lacs, la plus élevée étant dans le lac Érié. Ces déchets non biodégradables sont susceptibles d’être absorbés par les invertébrés qui filtrent l’eau, les poissons et d’autres animaux marins et, partant de là, de remonter la chaîne alimentaire. En France, on en a retrouvé dans 10 % des goujons échantillonnés dans des cours d’eau douce.

Les particules repêchées dans le Saint-Laurent étaient, comme la plupart des microsphères utilisées en cosmétique, faites de polyéthylène, un plastique très répandu dans la fabrication de sacs, d’emballages et de contenants. Si notre connaissance des microbilles est encore limitée, ce qu’on sait des déchets de plastique dans les milieux marins n’a rien de rassurant.

On sait que les plastiques ont la capacité d’absorber et de concentrer les polluants présents dans l’eau. On pense qu’ils pourraient aussi transporter des microorganismes d’un milieu à l’autre. En plus d’accumuler des contaminants, les animaux qui les ingèrent pourraient éprouver toutes sortes de problèmes. L’accumulation de ces matières solides dans le système digestif est susceptible de créer une sensation de satiété qui empêche de s’alimenter suffisamment, de bloquer les intestins et d’affaiblir d’autres fonctions vitales.

Est-ce que les microbilles captées par les poissons et les mollusques se retrouvent dans l’assiette, puis dans l’estomac des humains ?

Les scientifiques n’ont pas encore de réponse. On sait par contre que beaucoup de gens en ont eu dans la bouche. C’est ce qu’a découvert une hygiéniste dentaire américaine intriguée par les petits points bleus qu’elle voyait sur les dents et les gencives des patients depuis des années. Ces particules insolubles provenaient de divers dentifrices de marque Crest vendus aux États-Unis. Le billet de blogue qu’elle a rédigé à ce sujet a fait tellement de bruit que le fabricant Procter & Gamble a promis de retirer le plastique de ses dentifrices.

Plusieurs autres multinationales dont Unilever, Johnson & Johnson, L’Oréal et Body Shop, ont indiqué qu’elles les élimineraient de leurs produits au cours des prochaines années.

Ce n’est pas la fin du monde. D’autres sources d’exfoliant existaient avant l’arrivée des microbilles et sont encore utilisés par de nombreux fabricants, comme les noix, les cristaux de sel et la silice.

Les microbilles peuvent avoir l’air négligeables comparées aux étendues de plastiques agglomérés qui dérivent sur les océans, mais ce sont des polluants de plus en plus présents dont on pourrait facilement se passer. Et leur image est tellement entachée qu’il va devenir gênant d’en mettre dans les cosmétiques. Il n’y a donc vraiment aucune raison de ne pas les interdire.

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