CARNAGE AU WALMART

Le massacre qui a éclaté hier dans un magasin Walmart d’El Paso, au Texas, s’inscrit dans une triste suite de tragédies semblables aux États-Unis. Au moins vingt morts, de nombreux blessés et une tuerie qui pourrait être traitée comme un crime haineux en raison de l’idéologie présumée du jeune suspect.

TUERIE AU TEXAS

L’un des pires massacres de l’histoire du Texas

NEW YORK — Hier matin, à un peu plus d’une semaine du retour en classe dans les écoles publiques d’El Paso, l’un des Walmart de cette ville frontalière du Texas était bondé de familles procédant aux achats d’usage. C’est l’endroit et le moment qu’un tireur armé d’un AK-47 a choisi pour perpétrer l’un des pires massacres de l’histoire de cet État : 20 morts et 26 blessés.

Massacre qui pourrait être traité par les autorités policières comme un crime haineux en raison de l’idéologie présumée du jeune suspect, qui aurait publié sur l’internet un manifeste anti-immigrants il y a quelques jours.

Massacre qui survenait moins d’une semaine après la tuerie de Gilroy, en Californie, qui a fait trois morts, dont un enfant de 6 ans, à l’occasion d’un festival de gastronomie.

« Que Dieu soit avec vous tous ! », a tweeté Donald Trump, en déplorant les « terribles coups de feu d’El Paso, au Texas ».

« Les nouvelles sont très mauvaises, il y a beaucoup de morts », a-t-il ajouté avant l’annonce du bilan officiel.

« Le Texas pleure avec El Paso », a déclaré de son côté le gouverneur républicain de cet État, Greg Abbott, qui avait vécu une situation aussi tragique lorsqu’un tireur avait fauché 26 personnes dans une église de Sutherland Springs, en novembre 2017.

Or, même si elle s’inscrit dans une suite routinière de tragédies semblables, la tuerie d’El Paso pourrait non seulement relancer le débat sur le contrôle des armes à feu, mais également braquer l’attention du public sur la violence ou le terrorisme d’extrême droite aux États-Unis.

L’auteur présumé du massacre s’est rendu à la police sans incident après avoir semé la mort, le chaos et la peur dans le Walmart. Il s’agit de Patrick Crusius, âgé de 21 ans et domicilié à Allen, ville du Texas située à 10 heures de voiture à l’est d’El Paso.

Les enquêteurs s’intéressent à des écrits attribués au suspect. L’un des documents qui retiennent leur attention est un manifeste dans lequel l’auteur exprime d’entrée de jeu sa solidarité envers le tueur de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, qui a tué 51 personnes dans deux mosquées, en mars dernier.

L’auteur fait ensuite référence à une « attaque » armée qu’il justifie par « l’invasion hispanique du Texas » et au « remplacement culturel et ethnique provoqué par cette invasion ». Il note plus loin le modèle du fusil d’assaut avec lequel il entend commettre son crime : AK-47.

À la fin de son manifeste de quatre pages, l’auteur précise que ses opinions précèdent « Trump et sa campagne à la présidence ».

« Je sais que les médias vont me qualifier de suprémaciste blanc et imputer la responsabilité à la rhétorique de Trump. Les médias sont notoires pour leurs fausses nouvelles. »

— Patrick Crusius, soupçonné d’être l’auteur du massacre, dans un manifeste publié sur l’internet il y a quelques jours

Crime haineux ?

Lors d’une conférence de presse, le chef de police d’El Paso, Greg Allen, a indiqué que ce manifeste « démontre jusqu’à un certain point l’existence d’un lien avec un crime haineux potentiel ».

« Nous devons confirmer que ce manifeste vient de cet individu », a-t-il précisé.

Âgé de 19 ans, le tireur de Gilroy, en Californie, était également soupçonné d’adhérer à une idéologie extrémiste. Le livre Might is Right, qui fait l’apologie du racisme, aurait notamment fait partie de ses dernières lectures. Le suspect dans la tuerie qui a fait 11 morts dans une synagogue de Pittsburgh en octobre dernier avait lui-même dénoncé les Juifs qui se portaient au secours des réfugiés.

Ces attentats et d’autres encore participent d’un phénomène qui n’échappe pas au FBI, même si la Maison-Blanche tend à le minimiser. En juillet dernier, le directeur de la police fédérale, Christopher Wray, avait déclaré devant une commission du Congrès que la plupart des arrestations et des enquêtes menées par son agence depuis le début de l’année impliquaient une forme de suprémacisme blanc.

« Il va sans dire que nous prenons de façon extrêmement sérieuse le terrorisme intérieur ou les crimes haineux, quelle que soit l’idéologie », a-t-il dit.

Pete Buttigieg, maire de South Bend et candidat démocrate à la présidence, a enfoncé le clou après le massacre d’El Paso.

« L’Amérique est assaillie par le terrorisme des nationalistes blancs », a-t-il déclaré lors d’une intervention à Las Vegas.

« Le nationalisme blanc incite des gens à commettre des meurtres et est encouragé au niveau le plus élevé du gouvernement américain. »

— Pete Buttigieg, maire de South Bend et candidat démocrate à la présidence

Comme tous les autres candidats démocrates à la présidence, le sénateur du New Jersey Cory Booker a appelé hier à la fin de l’immobilisme politique en matière de contrôle des armes à feu.

« Ça suffit. Nous devons mettre fin à ce cauchemar national », a-t-il tweeté en exhortant son pays à « trouver le courage moral » pour faire cesser « ce carnage ».

Scènes de chaos

Patrick Crusius serait entré dans le Walmart peu après 10 h 30, heure du Texas, hier matin. Il y avait alors entre 1000 et 3000 clients et 100 employés, selon un porte-parole de la police d’El Paso. Le tireur a ouvert le feu à 10 h 39.

Vanessa, qui venait de faire ses courses, a entendu « comme des feux d’artifice ».

« J’ai vu un homme vêtu d’un t-shirt noir et d’un pantalon de camouflage qui portait ce qui m’a semblé être un fusil », a-t-elle raconté sur Fox News. « Il visait les gens et tirait directement sur eux. J’en ai vu trois ou quatre tomber par terre. »

Des vidéos montrant le chaos à l’intérieur et à l’extérieur du Walmart pendant et après l’attaque ont circulé sur l’internet. Dans l’une d’elles, un policier tente d’escorter les clients vers la sortie du magasin tout en leur criant : « Les mains en l’air ! »

Walmart, qui vend des armes à feu, a offert ses condoléances sur Twitter.

« Nous prions pour les victimes et la communauté, ainsi que pour les premiers intervenants », fait savoir la chaîne.

O’Rourke montre du doigt Trump

Interrompant sa campagne présidentielle, Beto O’Rourke est retourné hier après-midi à El Paso, où il a accusé Donald Trump d’avoir contribué, par ses tweets, commentaires et politiques racistes, à la tuerie qui a endeuillé sa ville natale. Il est le seul candidat démocrate à la Maison-Blanche à avoir pointé le président de manière aussi directe. « Il est raciste et il attise le racisme dans ce pays. Cela ne heurte pas seulement nos sensibilités ; cela change fondamentalement le caractère de ce pays. Et cela mène à la violence », a déclaré l’ancien représentant démocrate du Texas, dont la circonscription comprenait El Paso, devant un groupe de journalistes.

— Richard Hétu, collaboration spéciale

Tuerie au Texas

Armes à feu, violence et peur

La violence est omniprésente chez nos voisins du Sud, une triste réalité qui ne semble pas près de s’estomper. La Presse s’est entretenue avec deux observateurs, qui font le point sur les enjeux liés au contrôle des armes à feu et à la mouvance d’extrême droite. Discussion avec Andrea Brauer, ex-directrice de Texas Gun Sense, organisme militant pour la réforme des lois encadrant l’accès aux armes à feu, et Francis Langlois, spécialiste de la question des armes à feu et membre externe de la Chaire Raoul-Dandurand, à l’UQAM.

Comment se porte le mouvement pour un contrôle accru des armes à feu ?

Andrea Brauer (A.B.) : Il grandit chaque année depuis Sandy Hook, en 2012. Moms Demand Action, Texas Gun Sense et d’autres groupes présents au Capitole ne font qu’augmenter la pression d’année en année. Même les gens qui possèdent des armes à feu commencent à se ranger du côté des défenseurs d’un resserrement des lois. Toutefois, il y aura toujours une frange de la population pour qui tout contrôle est inadmissible, mais avec le temps, les choses vont bouger. Ne vous méprenez pas, cependant : il y a encore beaucoup de chemin à faire.

Est-ce que l’accès facile aux armes à feu fait augmenter la violence ?

A.B. : Bien sûr. Les études démontrent que ce sont les États où il y a le moins de restrictions à l’achat d’armes à feu qui sont les plus violents. Il y a des exceptions à la règle, comme Chicago, Los Angeles, New York, de grands centres urbains dans des États où les lois sont plus restrictives. Une nouvelle étude indique aussi que c’est dans les États où les lois sont les moins rigoureuses qu’on observe les plus hauts taux de morts accidentelles chez les enfants. Donc, les lois marchent, mais trop de leaders politiques n’ont pas le courage nécessaire pour en faire une cause.

Est-ce que les gens ont peur ?

A.B. : Les gens sont conscients du problème, et ils sont dégoûtés. Les gens y pensent quand ils vont au cinéma, maintenant. Les parents se font du souci pour leurs enfants à l’école. C’est affreux. Je suis sûre qu’au Canada, vous devez nous trouver ridicules, et c’est honteux pour nous. Mais les gens en ont ras le bol. Maintenant, ce genre d’événement n’étonne plus. À quoi peut-on s’attendre si les choses ne changent pas ?

À quel point est-il facile de se procurer une arme à feu au Texas ?

A.B. : C’est très facile. Premièrement, on trouve des magasins qui vendent des armes à feu partout ici. Deuxièmement, il n’y a pas de contrôle, pas de vérification des antécédents judiciaires. Le Texas a reçu un F [échec] du Giffords Law Center to Prevent Gun Violence [établi à San Francisco]. On n’a presque pas de loi mise en place.

Y a-t-il un lien entre les armes à feu et l’action politique chez l’extrême droite ?

Francis Langlois (F.L.) : Absolument. Depuis les années 80, et même avant, les groupes d’extrême droite ont souvent souligné leur lien avec les armes à feu parce que pour eux, c’est le dernier moyen par lequel ils peuvent défendre la pureté de la race et la résistance à l’État. C’est donc par les armes à feu qu’ils vont faire valoir leurs droits. Il y a même des milices armées relativement organisées derrière ces causes. Selon ces groupes, le gouvernement est corrompu par des forces étrangères, notamment juives ou arabes, afin de faire disparaître la majorité blanche en acceptant les immigrés et en permettant les mariages interraciaux.

Est-ce que ces événements violents impliquant des armes à feu sont traités comme du terrorisme intérieur aux États-Unis ?

F.L. : Le terrorisme, dans sa définition la plus simple, c’est l’utilisation de la violence à des fins politiques et idéologiques. En ce sens, la tuerie est incontestablement un acte terroriste : on veut empêcher une certaine catégorie de personnes de se sentir en sécurité aux États-Unis. Toutefois, la loi aux États-Unis reconnaît difficilement les crimes haineux comme des actes terroristes. Mais l’idéologie de la pureté raciale qui motive les extrémistes de droite verse dans le terrorisme, au point que les plus extrémistes d’entre eux s’en revendiquent. Ce n’est pas de la violence sans objectif.

Les politiciens se sentent-ils dépassés par les tueries de masse et l’abondance des armes ?

F.L. : Oui. Depuis l’attentat de 2001, l’ensemble des ressources consacrées à la lutte contre le terrorisme ont été détournées des questions intérieures vers le terrorisme islamiste. Les groupes spécialisés dans la surveillance des mouvements terroristes intérieurs étaient beaucoup plus actifs dans les années 90, notamment après les attentats d’Oklahoma City. Ce n’est pas pour rien que la montée de l’extrémisme de droite usant de la violence a commencé dans les années 2000. En 2009, sous la pression des républicains, on a aboli la dernière mini-unité spéciale de surveillance de l’extrême droite. Mais en 2017, l’événement de Charlottesville [où une militante antifasciste a été happée à mort par un sympathisant néonazi lors d’une manifestation] a été le coup de semonce qui a réveillé les autorités, et depuis, les investissements reviennent.

Y a-t-il un effet Trump sur l’extrémisme de droite et l’usage des armes aux États-Unis ?

F.L. : Parce que le président a repris des thèmes chers à l’extrême droite américaine durant sa campagne et qu’il a continué à les marteler par la suite, comme l’immigration et le mur à la frontière avec le Mexique, les leaders de ces mouvements se sont identifiés à Donald Trump et ont vu en lui un chef de file, même s’il n’appartient pas nécessairement à leur mouvement. Il ne faut pas oublier que la campagne de Trump a repris des mèmes produits par l’extrême droite. Ce qui a vraiment mis le feu aux poudres chez l’extrême droite, ce n’est pas Donald Trump : il ne fait que surfer sur une vague montante depuis le début des années 2000.

Principales tueries des dernières années

Les États-Unis sont régulièrement endeuillés par des drames comme celui d’hier

Las Vegas

58 morts

Le 1er octobre 2017, Stephen Paddock, 64 ans, ouvre le feu du 32ème étage de l’hôtel Mandalay Bay sur la foule en contrebas qui assistait à un concert de musique country à Las Vegas. Il fait 58 morts et près de 500 blessés.

Club gai à Orlando

49 morts

Le 12 juin 2016, un Américain d’origine afghane, Omar Mateen, tue 49 personnes et en blesse une cinquantaine dans un club gai d’Orlando – il perpètre ainsi le pire attentat aux États-Unis depuis ceux du 11 septembre 2001. Le groupe État islamique, auquel le terroriste avait fait acte d’allégeance, revendique la tuerie.

École primaire à Sandy Hook

26 morts

Le 14 décembre 2012, un jeune homme tue 26 personnes, dont 20 enfants du primaire, dans l’école de Sandy Hook à Newtown, dans le Connecticut, avant de se suicider.

Église de Sutherland Springs, Texas 

25 morts

Le dimanche 5 novembre 2017, un homme abat 25 personnes, dont une femme enceinte et de nombreux enfants, dans une église de la petite ville de Sutherland Springs, au Texas, en plein culte.

Parkland, Floride

17 morts

Le 14 février 2018, jour de la Saint-Valentin, un jeune homme de 19 ans, Nikolas Cruz, ouvre le feu dans une école secondaire de Parkland, en Floride. Il tue 17 personnes avant d’être arrêté.

San Bernardino, Californie

14 morts

Le 2 décembre 2015, un couple marié d’islamistes radicalisés d’origine pakistanaise ouvre le feu lors d’un déjeuner de Noël à San Bernardino, en Californie. 

Aurora, Thousand Oaks, Virginia Beach

12 morts

Le 20 juillet 2012, un jeune homme lourdement armé fait irruption dans un cinéma d’Aurora, au Colorado, et ouvre le feu sur le public d’une séance de minuit d’un film de la franchise Batman. 

Thousand Oaks, Californie

12 morts

Le 7 novembre 2018, un ancien soldat, Ian Long, connu des services de police pour des troubles psychiques, ouvre le feu dans un bar bondé de Thousand Oaks, près de Los Angeles. 

Virginia Beach

12 morts

Le 31 mai 2019, un employé municipal de Virginia Beach lourdement armé ouvre le feu sur ses collègues, et fait 12 morts. Il est abattu à l’issue d’une « fusillade longue et intense » avec la police.

Synagogue de Pittsburgh

11 morts

Le 27 octobre 2018, 11 personnes tombent sous les balles d’un antisémite de 46 ans qui sème la terreur à l’intérieur de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh en plein office du shabbat. 

École secondaire de Santa Fe

10 morts

Un élève de 17 ans tue le 18 mai 2018 deux adultes et huit jeunes dans son école secondaire à Santa Fe, au Texas. Il s’est servi d’un fusil et d’un pistolet détenus légalement par son père, selon les autorités.

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