Éditorial : Politique québécoise

Faire fausse route

« La première chose à faire pour battre les libéraux, c’est de convaincre les gens qui votent libéral d’arrêter de voter libéral. »

On peut rire du caractère tautologique de l’affirmation de Gabriel Nadeau-Dubois, mais elle est juste. Pour éviter que le même parti se maintienne indéfiniment au pouvoir, une situation plutôt malsaine en démocratie, il faut convaincre les électeurs de ne pas toujours voter du même bord.

Mais dans ce cas, pourquoi les trois partis de l’opposition laissent-ils la voie libre aux libéraux ?

Les sondages répètent en effet que les Québécois ont peu d’appétit pour l’identité et pour la souveraineté, et pourtant, toutes les formations de l’opposition utilisent l’un ou l’autre de ces enjeux comme cheval de bataille. La Coalition avenir Québec se fait la championne de la défense identitaire, alors que le Parti québécois et Québec solidaire font la promotion de l’indépendance.

On ne peut certes pas demander aux partis politiques de renier leurs valeurs, mais rien ne les oblige à transformer en priorité ce qui ne l’est pas pour la population.

En plus des enquêtes d’opinion précédentes, le sondage Léger du week-end dernier confirme que ces enjeux sont loin d’être primordiaux aux yeux des Québécois. Quand on leur demande quelles devraient être les priorités des partis politiques, la santé trône au sommet (38 %), suivie de la réduction des impôts (28 %) et de la création d’emplois (21 %).

Il faut descendre au bas de la liste pour retrouver la défense et la promotion de l’identité québécoise, un enjeu prioritaire pour à peine 9 % des répondants.

Et pourtant, la seule formation à parler réellement aux électeurs qui n’ont pas d’appétit pour les débats identitaires et les guerres constitutionnelles est le Parti libéral.

La situation politique au Québec ressemble ainsi à une large autoroute sur laquelle roulent les libéraux, seuls. Tandis que les partis de l’opposition s’entassent sur les voies de service : celle de droite pour la CAQ, et celle de gauche pour les trois formations souverainistes, PQ, QS et Option nationale.

Si bien qu’aujourd’hui, les progressistes qui n’ont d’intérêt ni pour les questions de souveraineté ni pour les enjeux d’identité ont bien peu d’options politiques.

Même chose pour les fédéralistes de gauche, les multiculturalistes indifférents au projet de pays, les jeunes qui ne veulent pas tourner le dos au Canada, les pluralistes qui ne se retrouvent pas dans les débats constitutionnels, etc. Bref, tous ceux que Paul St-Pierre Plamondon qualifiait d’orphelins politiques avant de se joindre au PQ.

Bien sûr, certains fédéralistes accepteront d’appuyer un parti souverainiste comme QS pour ses autres valeurs. Certains pluralistes voteront pour la CAQ pour ses promesses de réduction de l’État. Mais bien d’autres se résoudront à appuyer le PLQ, ou s’abstiendront carrément de voter… ce qui favorisera ce dernier. Et d’autres encore voteront contre la charte des valeurs du PQ, le populisme de la CAQ ou l’extrémisme de Québec solidaire.

Sans effort, sans même lever le petit doigt, le PLQ devient ainsi une coalition des électeurs non identitaires non souverainistes… au moment où les sondages montrent qu’ils sont nombreux à tourner le dos aux enjeux identitaire et souverainiste.

Manifestement, il est plus facile de jeter la faute sur le vote monolithique des anglophones et des allophones que de se demander pourquoi ces derniers optent toujours pour le même parti. Plus facile aussi de se plaindre de l’éparpillement du vote indépendantiste que de s’interroger sur la « panne historique » du souverainisme, pour reprendre l’expression de Mathieu Bock-Côté.

Si le Parti libéral se retrouve encore aujourd’hui sans grande rivalité, c’est que les partis de l’opposition s’obstinent à le laisser seul sur l’autoroute électorale.

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