TÉMOIGNAGE

SANTÉ MENTALE La dictature du bonheur ?

Je suis présentement en arrêt de travail à cause d’une dépression.

Moi-même journaliste, je ne lis pas les journaux depuis plusieurs semaines. Je n’en ai pas vraiment la force et aussi, ça serait comme si je continuais un peu de travailler. Parce que c’est d’abord ce qu’on fait, les journalistes, on lit beaucoup avant d’écrire.

Sauf qu’une amie a porté à mon attention la dernière chronique de Patrick Lagacé « Trois brochures et une pilule ». Je l’ai lue. Et relue. Une sacrée bonne chronique.

Sauf que je vois un problème et il est de taille. Et ce n’est pas la faute de Patrick.

C’est écrit dans le ciel que le psychiatre et le système seront les premiers blâmés.

Je ne dis pas qu’ils ne sont pas à blâmer, au contraire. Il y a certainement plusieurs questions à poser.

Sauf que c’est comme l’arbre qui cache la forêt. On va s’occuper de l’arbre et oublier le reste.

Malgré les efforts qui ont été faits dans les dernières années, la santé mentale reste un énorme tabou.

Si Jean-François Lussier avait eu le cancer, les choses se seraient passées autrement.

D’abord, lui-même n’aurait pas eu honte de consulter un médecin puis un spécialiste pour être soigné.

C’est le problème principal de la dépression. Quand ça arrive, la majorité des gens n’en parlent pas. Ils ont honte.

Quand j’ai su que je faisais une dépression, je n’ai pas eu honte. Mais j’avais mal. Je pourrais ajouter quelques jurons et quelques mots d’église bien sentis pour dire à quel point j’avais mal. Dans ces moments-là, l’une des choses qui me faisaient du bien, c’était d’écrire. Ce que j’ai commencé à faire.

Je me suis dit, à un moment donné, que je pourrais partager ces réflexions sur ma page Facebook. Pas pour faire pitié, loin de là. Sais pas, une sorte d’instinct que ça pouvait peut-être mener à quelque chose de bien.

J’ai donc écrit une première fois. Je disais que j’étais en arrêt de travail à cause d’une dépression. La suite m’a carrément soufflé.

Compassion

D’abord, j’ai reçu plein de messages gentils et compatissants.

Mais ce qui m’a étonné, c’est le nombre de messages que j’ai reçus d’amis, de collègues et même de gens que je connais un peu, mais sans plus, me disant qu’ils étaient déjà passés par là eux aussi. Ou encore, on me disait que c’est un conjoint ou une conjointe qui avait vécu une dépression.

J’ai donc publié un deuxième billet, remerciant tout le monde et, surtout, signalant à quel point je constatais que plein de gens avaient souffert du cancer de l’âme un jour ou l’autre dans leur vie.

Et c’est là qu’est survenue la deuxième surprise. J’ai reçu plein de messages me demandant de continuer à écrire, moi qui rédigeais ces billets juste parce que ça me faisait du bien. Pendant ces quelques minutes, j’oubliais un peu ma dépression. Mais là, plein de gens me demandaient de continuer à écrire là-dessus, parce que mes mots à moi leur faisaient du bien à eux. Surtout, plusieurs personnes m’ont avoué s’être senties terriblement seules pendant cet épisode de leur vie.

C’est là que j’ai vraiment réalisé qu’on vit dans une société où règne ce que j’appelle la dictature du bonheur.

Les livres sur le bonheur se multiplient. On nous vend le bonheur partout. Même dans les annonces de voiture. Posséder une voiture, c’est carrément le pied, c’est être heureux, c’est vivre des aventures formidables.

Sauf que la vraie vie, ce n’est pas ça. Ce n’est pas vrai que tout le monde il est heureux et tout le monde il est content à longueur d’année. Mais de la souffrance, il ne faut surtout pas en parler, surtout quand c’est notre tête qui souffre.

D’ici 2020, la dépression va devenir la deuxième cause d’invalidité dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé. C’est sans compter les troubles d’anxiété de plus en plus fréquents chez les jeunes.

Ça en fait, du monde qui souffre chaque jour. Mais si vous parcourez votre fil Facebook, vous ne la verrez pas, cette souffrance. Mais du bonheur, oui, beaucoup du bonheur, même si souvent, ce n’est qu’une façade.

J’aimerais bien croire que les gens me demandent de continuer à écrire là-dessus parce que j’ai un formidable talent pour l’écriture. Je pense plutôt que mes billets détonnent tout simplement dans un univers totalement artificiel. Et ça rejoint plein de personnes qui n’ont jamais eu le courage, avec raison probablement, d’avouer leur dépression.

Parce que la dépression, la santé mentale, c’est encore tabou.

Alors, avant de blâmer seulement le psychiatre et le système de santé, faudrait peut-être aussi se regarder dans le miroir. Il n’y a aucune honte à faire une dépression et les gens ne devraient pas être gênés d’en parler et de demander de l’aide.

Vous êtes mal à l’aise avec un ami ou un parent qui souffre de dépression. Pourquoi ne pas carrément lui dire ça ? Le reste va suivre. Une communication va s’installer et le tabou va perdre un peu de son lustre.

Ça n’aurait peut-être pas sauvé Jean-François Lussier, mais ça pourrait aider des milliers d’autres qui souffrent en silence.

* L’auteur est journaliste à La Presse.

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