Rentrer dans ses terres
Il y a à peine un mois, Caroline St-Hilaire, la mairesse de Longueuil, a pris tout le monde par surprise. Sans que personne s’y attende et après avoir prévenu sa garde rapprochée à peine cinq minutes plus tôt, Caroline St-Hilaire, 47 ans, première mairesse en 350 ans d’histoire à Longueuil, a annoncé qu’elle ne solliciterait pas un nouveau mandat aux prochaines élections. « Le 5 novembre, je rentre chez nous », a-t-elle lancé ce jour-là devant un auditoire incrédule.
Quitter un métier et un monde qu’on aime n’est pas facile. Et Caroline St-Hilaire aime l’univers de la politique, elle l’aime avec fougue. Moins qu’elle aime ses deux fils et son conjoint, le député péquiste Maka Kotto, mais assez pour avoir longuement pesé et soupesé la question.
« J’ai pris ma décision le 10 décembre, le soir où j’ai déposé mon dernier budget. En rentrant à la maison, j’ai dit à Maka que c’était fini pour moi. J’avais fait le ménage, la Ville était sur les rails avec le projet Longueuil 2035, je pouvais partir en paix. Maka m’a dit de me calmer et, surtout, de ne rien décider sur le coup de l’impulsion. Il a été long à convaincre. Nous avons fait beaucoup de marches pour en discuter. Il sait combien j’aime la politique et il craignait que je ne regrette mon geste, mais il s’est finalement rendu à mes arguments. »
À la source de cette décision, il y avait le sentiment du devoir accompli, mais qui se mêlait à une sorte de fatigue existentielle.
Caroline St-Hilaire n’était pas fatiguée physiquement, mais elle commençait à sentir l’ennui gagner et engourdir son cœur de femme d’action. Pour une passionnée comme elle, l’engourdissement, c’est le début de la mort.
« Je ne pars pas pour des raisons familiales, pour des raisons de maladie ou parce qu’on m’a montré la porte. Ma famille va bien, je suis en santé. Je pars quand tout va bien. J’aurais pu être tentée par un troisième mandat, mais j’approche de la cinquantaine, mes fils sont grands, j’ai envie de me retrouver et, surtout, de voir si, en fin de compte, je peux faire autre chose dans la vie », raconte Caroline St-Hilaire au milieu d’un Café Dépôt désert au rez-de-chaussée tout blanc de la tour SSQ à Longueuil.
Elle porte pour l’occasion des leggings, une robe fleurie à col Claudine qui lui donne un air juvénile qui indique peut-être un début de lâcher-prise, ou alors un commencement de révolte contre son uniforme trop sérieux de mairesse.
Nous sommes au lendemain de la pire tempête de l’hiver, et malgré les critiques qui fusent sur le cafouillage de l’autoroute 13, Caroline St-Hilaire refuse de joindre sa voix à celles de la chorale de l’indignation populaire. « Non, merci. J’ai déjà joué dans ce film-là et je n’ai pas envie de jeter la pierre à qui que ce soit. » La seule pierre qu’elle est prête à jeter, c’est contre les maires de Brossard, Saint-Lambert et Saint-Bruno, qui, encore cette semaine, répétaient qu’ils en avaient assez de payer pour Longueuil. « À six mois des élections, alors qu’ils ont participé à toutes les réunions du comité d’agglomération sans se plaindre, je trouve ça suspect », dit-elle.
Deux décennies de vie politique
Depuis qu’elle a annoncé son départ, Caroline St-Hilaire repense souvent à sa jeunesse et au moment où, fraîchement émoulue de ses cours d’administration à l’UQAM, elle s’est lancée en politique. C’était il y a exactement 20 ans.
Le 2 juin prochain, d’ailleurs, Caroline St-Hilaire fêtera 20 ans de vie politique. La diplômée de l’UQAM avait 27 ans lorsque, à la demande d’amis, elle s’est présentée à l’investiture du Bloc québécois pour la circonscription de Longueuil en 1997. L’année d’avant, elle avait participé à la course à la direction du Bloc à titre d’attachée de presse de Rodrigue Biron.
« Mais on s’entend que lécher des enveloppes et faire du porte-à-porte, ce n’était pas nouveau pour moi. Adolescente, j’ai souvent fait campagne avec mon père, un conseiller municipal. »
« La politique, je connais ça et j’y crois. Personne ne pourra me convaincre que les politiciens sont tous une gang de corrompus et de tout croches. »
— Caroline St-Hilaire, mairesse de Longueuil
En 1997, au Bloc québécois, Caroline St-Hilaire était l’inconnue, la petite nouvelle, celle qui, en principe, n’avait aucune chance d’être choisie comme candidate. Mais la recrue avait déjà du tempérament et un talent pour la persuasion. Dans le temps de le dire, elle a réussi l’exploit de vendre 500 cartes de membre et de remporter l’investiture. La même année, elle était élue députée du Bloc de la circonscription de Longueuil (devenue depuis Longueuil– Pierre-Boucher), un siège qu’elle a occupé de 1997 à 2009 avant de se lancer en politique municipale.
Tout le monde connaît Denis Coderre, le maire de Montréal. Mais la plupart des gens seraient bien en peine de nommer un autre maire de l’agglomération, sauf Caroline St-Hilaire. Dans le brouillard du monde municipal, son nom brille comme un lampadaire, et pas seulement parce qu’elle est une femme. Parce qu’elle n’a jamais raté une occasion de se faire entendre et que les médias, séduits par son dynamisme et son franc-parler, n’ont jamais hésité à lui tendre leur micro.
Bilan positif, mais...
Son bilan à la mairie est plutôt positif, sauf pour l’année 2015. « Cette année-là est un tabou à la maison. On évite d’en parler », blague-t-elle à moitié. En 2015, le malheur semble s’être abattu sur Longueuil, d’abord avec la contamination aux hydrocarbures du puits de pompage qui alimente la ville en eau potable. La mairesse a été tenue responsable du cafouillage entamé avec le premier avis d’ébullition qui aurait dû, en fait, être une interdiction de consommation. La mairesse a été critiquée pour sa lenteur à réagir.
« J’ai eu cinq minutes pour trancher entre la Santé publique et la Sécurité publique, et il y avait Paul Arcand qui piaffait en arrière. C’est la première fois que j’ai reçu des claques. »
Puis elle a dû affronter la colère des cols bleus de Longueuil après que l’un d’entre eux a été suspendu pour avoir laissé sa souffleuse en marche sans surveillance. Quelques semaines plus tard, une passerelle piétonnière au-dessus de la route 132 s’est effondrée, heurtée de plein fouet par un camion. L’été venu, les choses auraient pu se calmer. Elles se sont plutôt enflammées lorsqu’un débat sur le bilinguisme à l’hôtel de ville a éclaté entre la mairesse et le chef de l’opposition Robert Myles, qui réclamait des séances bilingues. Refusant d’obtempérer, la mairesse a subi insultes, invectives et menaces de mort, au point d’être obligée d’installer des caméras tout autour de sa maison.
Pas de doute, 2015 fut l’annus horribilis de Caroline St-Hilaire, qui affirme avec humour avoir porté un casque jaune en permanence cette année-là.
Se pourrait-il que 2015 ait été la goutte qui a fait déborder le vase et l’a poussée à partir ?
« Au contraire, tout cela a été très formateur pour mon caractère et pour ma confiance en moi. Non pas que j’en manquais, mais après cela, j’ai averti mon équipe que j’allais davantage les “challenger”, au lieu de leur faire aveuglément confiance. Et puis, en y repensant, je trouve que j’ai été capable de bien prendre la pression et, surtout, d’apprendre à me détacher. Avant cela, la moindre tête d’œuf sur Twitter qui me renvoyait à mes chaudrons m’atteignait. Mais après 2015, je savais désormais comment prendre mes distances. »
En entendant sa dernière remarque, impossible de ne pas penser à Françoise David, qui a quitté l’Assemblée nationale épuisée, en déplorant amèrement le climat toxique et macho de la politique.
« Mon cas et celui de Françoise David ne sont pas comparables. Françoise était fatiguée, elle a le droit. Elle était tannée de devoir se battre, et c’est tout à son honneur, mais ce n’est pas moi. Moi, j’aime ça, la joute politique. J’aime ça, me bagarrer. Mes plus belles batailles, je les ai menées à Ottawa contre Jean Lapierre, qui me manque beaucoup, ou contre Denis Coderre. Tant qu’on est dans le débat d’idées et qu’on ne tombe pas dans le personnel, il n’y a rien de plus stimulant », dit celle qui est sur le point de renoncer à un des plus grands plaisirs dans sa vie.
Saut dans le vide
On sait que Caroline St-Hilaire rentrera dans ses terres le 5 novembre, mais que fera-t-elle le 6, le 7 ou le 30 novembre ? « Je n’en ai aucune idée. C’est un saut dans le vide, mon affaire, mais j’ai confiance en l’avenir, et puis je ne peux pas croire que j’ai fait tout ça pour rien. »
Récemment, la mairesse a signé un contrat avec la maison d’édition Libre Expression pour écrire (avec l’aide de Geneviève Lefebvre), non pas sa bio, mais un récit de ses années en politique. Elle avoue avoir eu des appels et des propositions, mais affirme qu’elle n’est pas prête. Mais dans le même souffle, elle lance que si Louise Arbour l’appelait pour aller sauver le monde, elle irait, que la radio pourrait l’intéresser, peut-être même ouvrir un resto.
Je lui demande si elle peut jurer qu’elle ne fera plus jamais de politique. « Jamais ? répète-t-elle avec un sourire. Non, je ne peux pas. »
Tout ce qu’elle promet, c’est qu’elle ne sera pas des élections provinciales de 2018. Pour le reste, Caroline St-Hilaire se souhaite de retrouver son âme, sa passion et sa fougue de jeune femme de 27 ans. Qui aurait cru qu’elle les avait perdues ?