Opinion : Projet de programme d'histoire

Il y a encore place à l’amélioration

Le ministre Sébastien Proulx a reporté d’un an l’approbation du projet de nouveau programme d’histoire du secondaire. Rappelons que ce projet, né sous le gouvernement du Parti québécois, doit remplacer le programme de 2006, attaqué sans relâche par une coalition de nationalistes conservateurs, parce que soi-disant trop social et pas assez national.

Les enseignants approuvaient généralement les principes du programme de 2006, mais lui reprochaient d’être chronologique dans la première année, thématique dans la seconde, et d’entraîner ainsi de nombreuses répétitions.

En rétablissant une chronologie continue, le projet actuel règle ce problème. Pour le reste, le programme de 2006 possède d’importantes qualités. Le report donne quelques mois pour les conserver ou les conjuguer avec le projet actuel. Il faut en profiter.

LA MARQUE PÉQUISTE

Né sous un gouvernement péquiste, le projet en porte la marque : sa chronologie adopte la « trame nationale » traditionnelle, c’est-à-dire la succession des événements douloureux qui, de la Conquête aux référendums manqués, a ponctué le cheminement de la nation canadienne-française.

C’est un parcours considéré comme inachevé, dont il est espéré rédemption dans l’indépendance. Dès sa présentation, le projet se dévoile : « La nation n’est jamais achevée… » La chronologie de la première année se conclut sur « les revendications et les luttes nationales », celle de la seconde sur « Le Québec à l’heure des choix ». On devine lequel.

L’histoire du Québec doit-elle être l’histoire d’une entité théorique, la nation, ou l’histoire d’une réalité bien concrète, la société québécoise dans son ensemble ?

Ce qui est proposé dans le projet, c’est une histoire de la seule nation canadienne-française du Québec.

Pourtant il serait facile d’y inscrire toute la population québécoise, car c’est ainsi qu’a évolué le savoir historien depuis des décennies.

Histoire des Québécois, plus qu’histoire de la nation : on pourrait rapatrier du programme de 2006 divers objets d’histoire sociale, témoins de la vie concrète de la société. Dans son invitation à l’histoire problème, ce programme en offrait de nombreuses occasions grâce à sa souplesse générale. L’actuel projet, en s’ordonnant autour de l’idée de nation, se dispose plutôt à de l’histoire politique.

CONNAISSANCES OU PERSPECTIVES HISTORIQUES ?

À travers les longues tables des matières qui présentent le contenu du projet de programme, on compte 99 champs de connaissances historiques, décomposés en 466 sujets d’enseignement, chacun supposant moult faits à connaître, 168 dates sur des lignes du temps, 17 concepts particuliers ou communs…

Alors quand on lit, « les connaissances prescrites consistent en un bagage de connaissances essentielles », on imagine avec frayeur l’examen d’histoire final du Ministère !

Plutôt que de mentionner un grand nombre de connaissances, le programme de 2006 définissait les perspectives historiques et faisait confiance aux enseignants pour apporter eux-mêmes les connaissances appropriées. Il préférait insister sur l’apprentissage de la pensée historique, car c’est la clé de l’autonomie intellectuelle. Pour l’acquérir, il faut s’y exercer, et s’y exercer prend du temps. Le projet actuel de programme y prétend aussi, mais avec autant de connaissances « prescrites » et « essentielles », et sa soumission à la trame nationale, peut-on y croire ?

Dans une perspective nationaliste classique, la nation est homogène. Ses membres possèdent des particularités, et de ce fait une identité, qui les distinguent des autres. Dans les courtes pages de présentation du projet, le mot particularités revient 12 fois, et le mot identité 7 fois. Tous ceux qui ne sont pas inscrits dans le temps long de la trame nationale canadienne-française occupent une place marginale, comme s’en sont plaints à raison des autochtones, des membres des communautés culturelles et de la minorité linguistique.

Le programme de 2006 estimait que « la prise en compte de l’altérité se révèle essentielle au processus d’identification » et proposait de « concilier diversité des identités sociales et appartenance commune ». Voilà qui posait les perspectives d’un enseignement de l’histoire vraiment inclusif, comme à notre époque un programme officiel d’État devrait l’être.

Réaménager ces quelques aspects du projet de programme implique du travail supplémentaire pour ses auteurs. Mais ce ne serait pas trop pour réduire les obstacles qui contraignent l’adhésion de tous, et surtout pour offrir aux jeunes Québécois une formation historique de qualité, arrimée aux réalités d’aujourd’hui.

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