Opinion

Listes des métiers et des professions en MANQUE DE MAIN-D’œUVRE
Un outil restrictif

Le débat actuel sur la sélection des immigrants, étudiants et travailleurs temporaires sur la base d’une liste des emplois en demande nous interpelle.

Nous avons tous deux travaillé pendant plusieurs années dans le domaine de l’emploi, de la formation professionnelle et de l’immigration.

Nous avons cherché à bonifier et à rendre accessible l’information sur le marché du travail. Cette information regroupe un très grand nombre de données sur la démographie, l’emploi, la formation, l’embauche, les licenciements, les perspectives économiques, etc.

Une vision forcément incomplète

Le défi consiste à dégager la vision la plus objective et la plus correcte de la situation actuelle et prévisible de l’emploi, par région, par secteur d’activité de même que par métier et profession. Ce travail se poursuit.

C’est ainsi qu’Emploi-Québec publie L’état d’équilibre du marché du travail – Diagnostics pour 500 professions. On n’y identifie que 25 pénuries de main-d’œuvre pour l’ensemble du Québec (le chiffre varie de 13 à 58 selon les régions). Ces données sont extrapolées afin de dresser une liste des 50 professions les plus recherchées au Québec (janvier 2019) et une autre liste des professions admissibles au traitement simplifié (des procédures d’immigration).

La situation du marché du travail évolue très rapidement au Québec.

Au deuxième trimestre de cette année, on comptait 140 000 postes vacants, un record historique. Pour chaque poste vacant, il n’y avait que 1,5 chômeur, toutes catégories et régions confondues. En 2016, on comptait sept chômeurs par poste vacant.

Emploi-Québec éprouve, depuis longtemps, de la difficulté à prendre la juste mesure du phénomène des pénuries de main-d’œuvre. Dans une publication récente, on peut lire : « Il n’y aura pas de pénurie généralisée de main-d’œuvre d’ici 2021. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce constat « administratif » diffère passablement des réalités vécues par les employeurs publics et privés du Québec.

De plus, Emploi-Québec, avant même de connaître les chiffres relatifs à la baisse des seuils d’immigration, estimait que malgré le resserrement prévu du marché du travail, l’offre totale de main-d’œuvre serait en quantité suffisante pour répondre à la demande.

On comprend qu’Emploi-Québec dresse un portrait d’ensemble qui comporte des limites. On doit composer avec l’information dont on dispose. Quel employeur peut vous dire avec précision qu’il embauchera 40 ou 50 employés dans deux ans ? On s’en remet donc à des scénarios qui, bien que reposant sur des bases objectives, demeurent imprécis.

En somme, les prévisions des besoins de main-d’œuvre doivent être prises avec précaution. Elles sont soumises à de nombreux aléas de nature conjoncturelle, commerciale, technologique et méthodologique.

En outre, les métiers, professions et compétences de l’avenir n’apparaissent pas dans la Classification nationale des professions qui sert de base au modèle de prévisions. Le fait que les spécialités de l’intelligence artificielle ou de gestion des réseaux sociaux ne se retrouvent pas sur les listes des occupations en manque de main-d’œuvre illustre bien les limites de cet outil. C’est pourquoi il est hasardeux de baser une politique d’accès rapide à l’immigration sur ces seules données.

Pour l’essor économique du Québec, il est impératif de compléter les listes issues du modèle par une approche stratégique. Cela pourrait se faire en identifiant des « programmes d’études » et des « professions d’exception » dont ferait partie l’intelligence artificielle.

Certes, l’information sur les perspectives d’emploi doit éclairer le ministère responsable de l’immigration. Mais pas aveuglément.

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