BNLMTL 2014  NICOLAS GRENIER

Architecte des sans-patrie

Par des moyens symboliques et architecturaux, Nicolas Grenier transpose la réalité des populations apatrides en une expérience pénétrante. Son œuvre Promised Land Template est présentée au Musée d’art contemporain (MAC) dans le cadre de la Biennale de Montréal. La Presse a rencontré cet artiste québécois établi la moitié du temps à Los Angeles.

Dans une des grandes salles du Musée d’art contemporain, Nicolas Grenier a bâti un pavillon fait de panneaux de contreplaqué de bois de Luan à la douce teinte de merisier. L’habitat de 6,5 m de longueur sur 3,6 m de largeur est ouvert sur une sorte de porte rectangulaire légèrement écartée, comme lorsqu’on découvrait un tombeau égyptien. Avec son espace réduit et sa lumière douce, l’installation a tout du mausolée.

L’artiste de 32 ans invite ainsi le public à une réflexion ou à une méditation sur la déshumanisation qui marque bien souvent l’ère contemporaine.

PRINTEMPS ARABE ET SKID ROW 

L’idée de Promised Land Template dérive d’un tableau qu’il expose actuellement à la galerie Art mûr et qui découle d’une réflexion qu’il avait eue lors du Printemps arabe. « Je pensais à ce qui se passe dans le monde, à tous ces changements qui finissent par tomber un peu à plat, dit-il. Il y a toujours les mêmes problèmes de nationalisme et de territoire, d’exclusion sociale, que ce soit pour les sionistes israéliens, les Palestiniens, les Kurdes ou les Roms en France. Même chose avec les réserves amérindiennes ici. »

Si l’artiste a voulu parler d’exclusion, c’est aussi parce qu’à Los Angeles, son atelier est situé dans Skid Row, quartier dont près du quart de la population est formé de sans-abri.

« J’ai toujours eu un intérêt pour ces questions et ces enjeux, mais, quand j’ai déménagé à Los Angeles, j’ai subi un véritable choc culturel. Le contraste social m’a vraiment marqué. »

— Nicolas Grenier

« Los Angeles, c’est complètement tordu, poursuit l’artiste. Un jour, je peux aller accrocher des tableaux dans un manoir de 40 millions pour ensuite retourner avec ma vieille Volvo dans le quartier des junkies et des pauvres. »

L’ART DE LA DÉLICATESSE 

Le plus admirable avec Nicolas Grenier, c’est que rien n’est laissé au hasard dans son art. Dès qu’une idée l’allume, il prend le temps de planifier l’expression artistique qu’il va faire naître. Il peaufine ensuite sa nouvelle œuvre pendant des mois. Chacune de ses créations est précédée d’une importante phase de documentation, dans ce cas-ci à travers des guides d’urbanisme.

Nicolas Grenier a choisi avec un soin maniaque chaque panneau de contreplaqué de Luan qui compose son monument, où la terre promise est symbolisée par un tableau qu’il faut contempler avec attention. À l’intérieur de l’habitat, le contreplaqué des murs a été peint au spray, du sol vers le haut, en dégradés de couleur chair.

Des tuiles granuleuses évoquent, sur le plancher, cette plage que les clandestins rêvent d’atteindre, un désert vide de sens ou une référence à la bureaucratie. Cette impression est augmentée par le puits de lumière artificielle que l’artiste a ajouté au plafond.

La présence d’un cactus fait penser aux immigrants latino-américains qui jouent leur vie à la frontière barbelée séparant les États-Unis du Mexique.

SÉGRÉGATION ET LIBÉRATION

Et puis, il y a les trois tableaux peints sur bois accrochés dans ce lieu de réflexion. Des toiles qui conservent le style pictural de Nicolas Grenier, avec leurs couleurs acidulées. Mais en tant que peintre, l’artiste dit se sentir parfois limité dans son expression. Il a donc commencé à écrire des mots sur ses tableaux.

Pour Promised Land Template, œuvre partiellement financée par la Biennale de Montréal, les toiles décrivent les processus de ségrégation et de libération sociales. Sur la plus grande, la voie de chemin de fer sans issue rappelle les camps de concentration nazis. Et la terre promise est un bloc uniforme qui semble flotter dans un espace indéfini…

Au Musée d’art contemporain de Montréal jusqu’au 4 janvier, dans le cadre de la Biennale de Montréal

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