Super-goûteurs

Plus sensibles à l’amertume

Ils sont verts. Ils sont bons pour la santé. Et pourtant, bien des gens ne peuvent supporter les crucifères, soit des légumes comme le chou, le chou-fleur, le kale ou le brocoli.

Le coupable se trouve au cœur d’un gène récepteur du goût, le TAS2R38. Une variation dans ce gène fait en sorte que la personne est capable ou incapable de goûter l’amertume associée à une substance chimique, le propylthiouracile (PROP), un médicament antithyroïdien.

En soi, ce n’est pas un problème. Sauf que le PROP a une substance chimique cousine, la goitrine, qu’on retrouve dans certaines crucifères comme le chou et les choux de Bruxelles.

En raison de la variation dans ce fameux gène, environ 25 % de la population serait incapable de goûter l’amertume de ces légumes. Environ 50 % seraient en mesure de la goûter de façon modérée. Et le dernier quart de la population, ceux qu’on appelle les super-goûteurs, percevrait cette amertume de façon particulièrement aiguë. Ces pourcentages varient légèrement selon les régions du monde.

L’évolution pourrait expliquer la présence de super-goûteurs. La goitrine en grande quantité peut entraîner la formation d’un goitre – une augmentation de volume de la glande thyroïde –, souligne Christina Blais, chargée de cours au département de nutrition à l’Université de Montréal.

« On pense que le fait de pouvoir détecter cette substance a conféré un certain avantage évolutif à une partie de la population. »

— Christina Blais, chargée de cours, Université de Montréal

Avec l’ajout d’iode dans l’alimentation moderne, on a considérablement réduit le danger de formation de goitre. « Mais ça fait partie de notre bagage génétique », note Mme Blais.

PLANTES TOXIQUES

En outre, les plantes toxiques ont en général un goût amer. Nos lointains ancêtres qui vivaient dans un environnement où il y avait beaucoup de ces plantes avaient donc un avantage s’ils pouvaient détecter cette amertume, indique Nicole Garneau, docteure en génétique qui dirige le département des sciences de la santé du Musée de la nature et des sciences de Denver. « Ils survivaient, ils procréaient et ils passaient à leurs enfants la variation qui permet de goûter cette amertume », a-t-elle indiqué en entrevue avec La Presse.

Par ailleurs, ceux qui vivaient dans un environnement où il y avait une grande variété de plantes non toxiques avaient un avantage à ne pas goûter l’amertume. Ils pouvaient ainsi manger toutes sortes de bonnes plantes et bénéficier du même coup d’une alimentation diversifiée. « Ça explique pourquoi une bonne partie de la population ne peut pas goûter ce type d’amertume », affirme Mme Garneau.

« Si ce trait n’avait pas été important, il ne se serait pas perpétué jusqu’à nos jours. »

— Nicole Garneau, docteure en génétique

Parmi tous ceux qui possèdent la variation génétique qui leur permet de goûter l’amertume du PROP et des crucifères, ce sont les femmes et les enfants qui y sont les plus sensibles.

« La théorie veut que les femmes expriment davantage cette variation parce qu’elles portent les enfants : elles doivent donc mieux détecter les éléments toxiques pour ne pas faire du mal aux enfants, indique Nicole Garneau. De même, les enfants seraient plus sensibles que les adultes pour une question de survie : leur système immunitaire n’est pas aussi robuste que celui des adultes. »

LE RÔLE DE L’ENVIRONNEMENT

Toutefois, le fait de goûter davantage l’amertume des choux, brocolis et autres crucifères ne veut pas dire que la personne se détournera à jamais de ces légumes maudits. L’environnement alimentaire joue en effet un grand rôle.

« Certains adorent l’amertume de certains légumes, affirme Danielle Reed, docteure en psychologie au Monell Chimical Senses Center de Philadelphie. C’est qu’ils en ont mangé toute leur vie, ou bien leur mère le préparait de la bonne façon. »

Christina Blais note ainsi qu’elle est goûteuse, mais qu’elle raffole des endives, de la chicorée scarole et du rapini. « Je viens d’une famille italienne, explique-t-elle. J’ai été exposée à des aliments amers. Qui dit "amer" ne dit pas nécessairement "Ouache, je n’aime pas ça". »

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