L'animal et l'humain

Comment légitimer la consommation de viande

Près de 3 millions de Canadiens sont végétariens, comparativement à 900 000 en 2002, selon un récent sondage mené par l’Université Dalhousie. Même chez les gens qui consomment de la viande, plusieurs s’interrogent sur ce qui rend cet acte légitime. Geneviève Sicotte, omnivore et professeure à l’Université Concordia, propose une réflexion sur la consommation de viande, demain au colloque L’animal et l’humain. Voici un aperçu en quatre points.

Plus problématique

Jusqu’à récemment, « la viande était un aliment signe de vie et d’énergie, rappelle Geneviève Sicotte. Pour qu’elle soit réputée consommable, il suffisait qu’elle soit économique ou pas trop grasse ». Aujourd’hui, même les amateurs de viande frémissent quand ils voient des images d’abattoir ou d’élevage à la chaîne. « La consommation d’un être sentient, donc qui ressent du plaisir et de la douleur, est en train de devenir un sujet sur lequel il faut faire un travail symbolique, pour garder de la cohérence », analyse la professeure.

Chasse au caribou

« Qu’est-ce qui nous semblerait une représentation très légitime de la consommation de viande ? », demande Mme Sicotte. Sa première réponse : une chasse traditionnelle au caribou chez les Innus, racontée par la poète Joséphine Bacon dans le recueil Un thé dans la toundra, paru chez Mémoire d’encrier. « Un chasseur innu qui va tuer son propre caribou et qui le mange sur place, en rendant grâce aux ancêtres, c’est la consommation de viande que probablement 98 % des gens sont prêts à admettre comme étant correcte », estime la professeure.

Cochons heureux

Son second exemple est l’élevage de porcs du chef Martin Picard. « Dans Un chef à la cabane, il présente ses cochons heureux, qui mangent les déchets de la cabane à sucre et dont les excréments servent à fertiliser la terre, relate Mme Sicotte. L’idée d’une relation quasi symbiotique, ou en tout cas écosystémique, est mise de l’avant. » On pourrait croire que « la consommation excessive, festive, voire décadente » chez Martin Picard n’a pas besoin de justification – personne n’est là pour assouvir sa faim, comme un chasseur innu. « Pourtant, la machine imaginaire fonctionne à plein », souligne Mme Sicotte.

Modèles conceptuels

« Avant, on était dans une position très rationaliste, dominatrice, qui est caractéristique de l’imaginaire occidental, poursuit Mme Sicotte. Il me semble que c’est en train d’être modulé. L’animal que l’on mange arrête d’être un objet, pour devenir de plus en plus un sujet, même si on n’est pas végétarien ou végétalien. »

En conséquence, les modèles conceptuels qui permettent de représenter l’alimentation doivent être revus. « On passe du triangle culinaire de l’anthropologue structuraliste Lévi-Strauss, où le mangeur était en position de sujet surplombant, au cercle de vie inspiré des autochtones, où le mangeur est partie prenante du système qui le nourrit », propose la professeure. À méditer, en mâchant votre prochaine bouchée, carnée ou végé.

Le colloque L’animal et l’humain, où Geneviève Sicotte présente la conférence « Du triangle culinaire au cercle de vie, repenser les termes de la gastronomie dans l’imaginaire contemporain », se déroule jusqu’à demain à l’Université de Montréal.

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