Décryptage

La voisine trumpiste du Québec

New York — Ce n’est pas tous les jours qu’une lutte intestine entre parlementaires d’un parti américain peut avoir des retombées au Québec.

C’est pourtant ce qui pourrait se produire si la représentante républicaine de New York Elise Stefanik, dont l’immense circonscription jouxte la Belle Province, parvient à remplacer sa collègue du Wyoming, Liz Cheney, au sein de la direction de son parti à la Chambre des représentants.

Mais au-delà des retombées potentielles pour le Québec, ce conflit offre l’illustration la plus éclatante de l’emprise qu’exerce encore Donald Trump sur le Parti républicain. Il constitue aussi un exemple frappant des effets parfois déroutants, voire nocifs, de l’ambition politique.

Liz Cheney l’a dit et redit : Donald Trump est un danger pour le Parti républicain et la démocratie américaine. Il l’a démontré, selon elle, en propageant le « Grand Mensonge » sur des fraudes électorales massives et en incitant ses partisans à prendre d’assaut le Capitole des États-Unis. Cette position répétée sur plusieurs tribunes pourrait valoir à la fille de Dick Cheney d’être évincée dès cette semaine de son poste de numéro trois dans la hiérarchie républicaine à la Chambre.

Elise Stefanik mène une campagne ouverte pour la remplacer. Elle jouit de l’appui de républicains influents, dont Donald Trump. L’ancien président n’a pas oublié la façon combative avec laquelle la représentante de New York l’a défendu lors de la première procédure de destitution contre lui. Et il apprécie son adhésion au « Grand Mensonge ».

Adhésion qui s’est notamment traduite par un appui à la poursuite du procureur général du Texas pour invalider les résultats de l’élection présidentielle de 2020 dans plusieurs États clés ; un refus de certifier la victoire de Joe Biden, le 6 janvier dernier ; et au moins une allusion à des « irrégularités électorales sans précédent » ayant entaché le vote de novembre dernier.

Des intérêts communs

Le Québec a-t-il vraiment intérêt à ce qu’une telle femme grimpe les échelons du pouvoir à Washington ? Selon John Parisella, la réponse ne fait pas de doute. Surtout si les républicains, comme plusieurs s’y attendent, deviennent majoritaires à la Chambre des représentants après les élections de mi-mandat, en novembre 2022.

« Elle sera plus influente par la suite, peu importe son titre ou son rôle », a écrit l’ancien délégué général du Québec à New York dans un courriel à La Presse, en évoquant une victoire des républicains en 2022.

« Pour cette raison, le Québec a intérêt de garder un bon contact avec elle. Notre rôle aux États-Unis reste d’avancer NOS intérêts et non pas de faire des choix sur l’échiquier politique américain. »

— John Parisella, ancien délégué général du Québec à New York

« Si les républicains gagnent la Chambre, elle va être incontournable », a-t-il ajouté.

Née à Albany, capitale de l’État de New York, Elise Stefanik a déjà marqué l’histoire en novembre 2014 en devenant, à 30 ans, la plus jeune femme élue au Congrès (Alexandria Ocasio-Cortez lui a ravi ce titre en 2018). Diplômée de Harvard, elle avait auparavant travaillé auprès de trois représentants de l’establishment républicain – George W. Bush, Tim Pawlenty et Paul Ryan –, dont aucun n’est à l’aise aujourd’hui dans le Parti républicain de Donald Trump.

À titre de représentante d’une circonscription qui inclut Plattsburgh, « banlieue américaine de Montréal », comme cette ville se décrit elle-même, Elise Stefanik s’est rendue à quelques reprises dans la métropole québécoise pour échanger avec des gens d’affaires de la région. Fin avril, elle a aussi participé à une conférence virtuelle sur la frontière avec Jean Charest, ex-premier ministre du Québec, et Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec, entre autres.

Longtemps, elle a défendu des positions modérées. En novembre 2017, elle s’est notamment dissociée de la menace de Donald Trump de se retirer de l’ALENA s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait.

« Je n’appuie pas la résiliation de l’ALENA », a-t-elle déclaré lors d’une visite à Vaudreuil-Dorion. « Nous savons que nous pouvons tirer profit d’un partenariat international comme celui qui existe entre le Québec et [l’État de New York]. »

Trop modérée ?

Cette modération est peut-être le seul obstacle qui sépare Elise Stefanik du poste de Liz Cheney. Élue dans une circonscription qui a voté deux fois pour Barack Obama avant d’appuyer Donald Trump, la New-Yorkaise s’est mise à dos les plus conservateurs de son parti en s’opposant notamment à la construction du mur à la frontière sud, au retrait américain de l’accord de Paris sur le climat et aux baisses d’impôt massives voulues par le 45e président.

La représentante républicaine a effectué un virage trumpiste lors de la première procédure de destitution dont Donald Trump a fait l’objet.

Après une intervention à la commission sur le renseignement de la Chambre, où elle s’était présentée comme un rempart entre « les démocrates et la démocratie américaine », l’occupant de la Maison-Blanche avait tweeté : « Une star républicaine est née. »

Et l’argent – beaucoup d’argent – s’est mis à affluer dans la caisse électorale de la représentante. Mais son virage trumpiste n’est pas sans risque. Et c’est peut-être pour cette raison qu’Elise Stefanik laisse entendre qu’elle n’a pas l’intention d’occuper le poste de Liz Cheney au-delà de 2022.

John Parisella, dont la vaste expérience lui a permis d’observer l’ambition politique sous toutes ses configurations, croit comprendre sa stratégie.

« Je suis certain que “l’ancienne” modérée, qui est moins conservatrice que Liz Cheney, prépare sa vie post-Trump », a-t-il analysé. « Oui, elle est pour le Big Lie, mais c’est circonstanciel. Stefanik […] va se donner une marge de manœuvre pour survivre quand Trump sera sur son éventuel déclin. »

Mais la voisine du Québec pourrait tout aussi bien se retrouver en 2024 au sein d’une majorité républicaine à la Chambre prête à refuser de certifier la réélection de Joe Biden. Trumpiste un jour…

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